La francisation : ce qui a été fait… ce qu’il nous reste à faire

Conférence donnée en 2017 et 2018 à l’occasion des 40 ans de la Charte de la langue française dans différents organismes du Québec.

Par Solange Chalvin

C’est à mon mentor, André Laurendeau, que je dois non seulement mon initiation au journalisme mais à l’amour de la langue française. C’est au Journal Le Devoir que j’ai eu pendant vingt ans, le bonheur d’utiliser et de partager avec le lectorat, la rigueur, le charme et la poésie de cette langue. C’est en élevant mes enfants que j’ai découvert que les consignes sur leurs jouets étaient en anglais et que les manuels scolaires qu’ils utilisaient étaient truffés de fautes. De là, la publication en 1962 avec Michel Chalvin du livre Comment on abrutit nos enfants qui dénonce l’infantilisme de la langue et dénombre les centaines de fautes de français qu’ils contiennent. Par conséquent, mon intérêt pour la langue française ne date pas d’hier.

C’est à Camille Laurin, le père de la Charte de la langue française (Loi 101) que je dois ma ferveur à imposer et à défendre la langue française au Québec, le seul État francophone d’Amérique du Nord officiellement unilingue français. Comme homme politique, il a marqué notre histoire dans les grands domaines culturels de la langue et de l’éducation. Nous lui devons la conception, la rédaction en collaboration avec le sociologue Guy Rocher, et la mise en place de la Charte de la langue française adoptée par le gouvernement en août 1977. Il y a déjà 40 ans ! Mais la loi 101 en vigueur aujourd’hui en est un pâle reflet. Elle est devenue moribonde. En août 1977, la Charte de la langue française est la première loi linguistique à caractère obligatoire. Elle fait du français la seule langue officielle du Québec. En 2017, la Charte de la langue française est devenue une loi charcutée, qui crée un minimum d’obligations aussi bien aux entreprises qu’aux fonctionnaires qui doivent l’administrer. Il n’y a qu’à comparer les différentes versions de la Charte pour le constater. Mais je laisse aux juristes le soin de le démontrer.

J’ai eu le bonheur de travailler à l’Office de la langue française à deux reprises. D’abord, au tout début de l’application de la Charte de 1979 à 1983 puis de 1987 à 1996, soit plus d’une douzaine d’années. Des années euphoriques et des années héroïques.

Années euphoriques

C’est à titre de directrice des bureaux régionaux que je suis entrée à l’Office de la langue française. Deux ans après l’adoption de la Charte, l’Office reconnait la nécessité d’accentuer sa présence dans les régions. Existaient alors les bureaux de Montréal et de Québec. Mais l’organisme était déjà en relation avec des groupes de citoyens, des associations privées vouées à la promotion du français, en particulier en Abitibi où l’abbé Ratté, professeur au Séminaire d’Amos, avait créé le Service régional de la langue française. De telles organisations existaient déjà à Hull et Chicoutimi et c’est ainsi que grâce à ces citoyens vigilants et engagés, l’Office a pu connaître la situation réelle du français à l’extérieur des grandes villes. J’ai eu la satisfaction avec une équipe engagée dispersée sur le territoire d’ouvrir huit autres bureaux. Au moment de mon départ, l’Office était présent dans toutes les régions administratives du Québec. Même si certains de ces bureaux ont été regroupés depuis, subsistent encore les bureaux de Rouyn-Noranda, Rimouski, Sherbrooke, Trois-Rivières, Gatineau et Chicoutimi.

Cette décentralisation de l’action de l’Office, remise en quelque sorte aux citoyens de ces régions a permis de recruter du personnel connaissant l’état du français chez eux, dans les grandes et petites entreprises, dans les commerces, dans l’hôtellerie et dans les services publics. Pour certains, leurs parents avaient toujours travaillé en anglais dans la grande usine d’Arvida, dans les papeteries de Trois-Rivières ou dans les manufactures de textiles de la Mauricie. Ce n’était pas le gouvernement qui s’installait chez eux, c’étaient des citoyens de la région (ils étaient trois désignés comme conseiller en francisation, linguiste et secrétaire) qui venaient les aider à vivre et à travailler EN FRANÇAIS, chez-eux. Cette décision de l’Office de se rapprocher des clientèles régionales est à mon avis, l’une des meilleures mesures de l’époque. Plusieurs des très grandes entreprises du Québec, sans compter les PME étaient et sont encore installées en région.

Répondre aux besoins de francisation

Avant d’obliger les gens à utiliser une langue qu’il connaisse déjà, il faut savoir pourquoi, ils ne l’utilisent pas, à quel moment et dans quelles circonstances ? L’enquête n’était pas longue à faire : on parlait français à la maison, à l’école, chez les petits commerçants. Au travail, on tentait de comprendre ce que le patron disait en anglais, de déchiffrer les avis affichés dans l’usine, de lire la facture du garagiste qui utilisait l’anglais pour désigner toutes les pièces de la voiture, sans compter les factures des grandes entreprises de services publics.

La tournée des entreprises fut plus révélatrice que n’importe quelle grande thèse de doctorat sur le sujet. Des syndicalistes rencontrés sur place se plaignaient du taux anormal d’accidents de travail sur les chaînes de production. Ils étaient persuadés que les travailleurs – lors d’un bris mécanique ou autre incident – ne comprenaient pas les instructions données en anglais seulement. Ils étaient également persuadés que plusieurs consignes rédigées uniquement en anglais n’étaient pas respectées tout simplement parce que le personnel ne pouvait les comprendre.

La décision fut prise rapidement. Les conseillers en francisation devaient s’adresser aux patrons des grandes entreprises en leur parlant d’argent. C’est la langue du commerce et des affaires. Pour faire accepter la francisation, il fallait aussi que ça rapporte. C’est ainsi que l’argumentaire sur la diminution des accidents de travail et sur la hausse de la productivité des travailleurs, sans compter l’amélioration du climat de travail, fut développé et imposé aux conseillers en francisation de l’époque qui avec l’aide du ou de la linguiste proposait des traductions des affiches les plus susceptibles d’être la source d’accidents de travail. Les rencontres avec les syndicats de la région et les associations patronales complétaient la boîte à outils du personnel de la francisation.

Mais il fallait en même temps conserver et stimuler l’intérêt de la population pour un français de qualité. Naissent ainsi une pléiade de jeux linguistiques, des services pour répondre aux questions que pose le français écrit dans de petites entreprises, des campagnes de sensibilisation à l’usage des bons termes français pour désigner des objets de la vie courante. Ce travail accompli par le bureau principal de l’Office à Montréal répond souvent à des commandes directes des régions. C’est ainsi que naissent les vocabulaires du Français sur quatre roues, ainsi que quatre fascicules du Vocabulaire de l’automobile – le moteur, l’entretien et la réparation, la transmission, le châssis et la carrosserie. Abondamment illustrés, rédigés par la célèbre linguiste Anne-Marie Baudouin, ces livrets connaissent un succès fou. Des affiches grand format sont distribuées gratuitement dans les écoles de métier, chez les constructeurs, les concessionnaires, les garages, les stations-services et même dans les centres commerciaux.

Au fur et à mesure que les comités de francisation se forment dans les entreprises de 50 employés et plus, la demande en produits linguistiques s’élargit et poindra bientôt l’idée d’une Banque de terminologie pour répondre aux besoins non seulement des entreprises et des traducteurs mais du public en général.

Mettant à profit leurs relations avec la presse écrite et la radio locale, les linguistes rédigent et diffusent au fil des années plusieurs centaines de billets regroupés dans des rubriques qui passent régulièrement sur les ondes. La voix des linguistes de l’Office – Monique Bisson dans l’Outaouais, Claude Demers en Gaspésie, Hubert Troestler au Saguenay-Lac Saint-Jean, pour ne nommer que ceux-là – deviendra familière aux auditeurs des régions, voire du Québec tout entier par la voix de Noëlle Guilleton qui tient une chronique à la radio FM de Radio-Canada.

Bref, ces bureaux régionaux que j’appelais souvent « mes bureaux d’animation linguistique » font partie de l’âge d’or de la francisation au Québec. Cette période d’une quinzaine d’années qui a suivi l’adoption de la Charte pourrait être qualifiée d’années euphoriques de la francisation au Québec. On sentait chez une majorité de gens la fierté de s’exprimer en français, de prendre sa place en français dans la direction des moyennes et même grandes entreprises, de donner à son nouveau commerce un nom original en français.

L’Office comptait en 1979-1980 des effectifs de l’ordre de 431 personnes et disposait d’un budget de 13 549 400 $. En 2016, l’OQLF, ne compte plus que 233 employés en ayant absorbé la mission de la Commission de toponymie, et celle de la Commission de protection de la langue française (service des plaintes en provenance du public). Cent-six employés seulement sont dédiés à la francisation des entreprises et de l’administration.

J’ai quitté l’Office en 1983 pour participer à l’implantation des services de garde au Québec sur tout le territoire. Ma connaissance des régions et des entreprises me préparaient à cette tâche que je trouvais beaucoup plus facile que celle de la francisation. En effet, même s’il fallait, une fois de plus, convaincre les entreprises qu’ouvrir une garderie en milieu de travail, rapportait parce que cela contribuait à réduire les retards et l’absentéisme des femmes et augmentait la productivité grâce à l’attention accrue du personnel dégagé du souci de la garde des enfants, sans compter l’amélioration du climat de travail, la résistance des patrons – en grande majorité parents eux-mêmes, était beaucoup plus facile à vaincre. Au bout de quatre ans, le défi me semblait relevé. Les services de garde fleurissaient un peu partout au Québec.

Les années héroïques

Par contre, les rumeurs couraient que la francisation des entreprises piétinait. De 1987 à 1995 j’agirai comme directrice de la francisation des entreprises, de l’Administration et des ordres professionnels. Je me retrouve alors responsable de 112 employés et dispose d’un budget de quelque quatre millions de dollars.

L’atmosphère d’enthousiasme que j’avais connu n’existe plus. L’objectif de promotion du français est relégué au second plan. C’est l’augmentation du nombre de certificats décernés aux entreprises qui compte. A titre d’exemple, je reçois en 1989 l’objectif suivant du président de l’organisme : « assurer une augmentation de 40% du nombre de certificats de francisation chez les entreprises et les organismes de l’Administration. Prévision : 730 certificats délivrés au 31 mars 1990 ». L’accélération de la certification constitue l’objectif prioritaire de la Direction de la francisation en 1989-90. Il va de soi que l’objectif n’est pas atteint. Le gouvernement de l’époque veut prouver à tout prix que la francisation des entreprises est chose faite et qu’il faut passer à autre chose En plus, la Charte de la langue française ne cesse d’être amendée ce qui complique le travail des conseillers et conseillères en francisation. Il faut adapter constamment les programmes en fonction de décisions juridiques ou politiques.

En 1993, Québec révise la Loi et assouplit ses règlements linguistiques, exigeant dorénavant que le français ne soit plus l’unique langue d’affichage mais soit représenté de manière prédominante dans l’affichage extérieur des entreprises et commerces. À l’origine, La Charte de la langue française obligeait tous les affichages commerciaux à être exclusivement en langue française.

Pendant ce temps, les grandes et moyennes entreprises ont perdu toute ferveur à poursuivre et terminer leur programme de francisation en vue de l’obtention d’un certificat. « Les lois changent comme les gouvernements », nous disent-elles. « Attendons un peu avant de faire la traduction de nos documents administratifs et de nos guides » répondent les dirigeants ou propriétaires des entreprises aux conseillers qui ont pour mission de s’assurer que le français est bien la langue du travail avant que l’Office ne décerne un certificat de francisation.

Entrer en contact avec plus de 5000 entreprises est un projet colossal. Moins de la moitié avait commencé à l’époque un vague programme de francisation. L’approche mise de l’avant est la persuasion plutôt que la coercition. Les syndicats deviennent des alliés de première ligne dans la francisation des entreprises. Au milieu des années 80, un grand nombre de programmes de francisation ont été négociés et approuvés. C’est le travail des conseillers et conseillères en francisation d’accompagner les entreprises dans la mise en œuvre de ces mesures. C’est à ces personnes qu’il appartient d’imaginer, de présenter et de promouvoir des solutions qui mèneront à une francisation durable. Chaque entreprise inscrite à l’Office peut ainsi compter sur les services d’une conseillère ou conseiller soutenu au besoin par une ou un linguiste et un spécialiste en francisation des technologies de l’information. Mais oui, l’informatique en anglais a envahi les entreprises. Il a fallu développer une stratégie d’intervention propre aux entreprises de haute technologie.

Un nouveau chantier de francisation et de promotion vient de s’ouvrir. Un chantier miné, difficile à contourner mais qui lentement grâce aux publications de l’Office dont le Vocabulaire de l’Internet commence à porter fruit.

Parmi les publications phares de l’Office, je voudrais souligner Le français au bureau de Noëlle Guilloton et Hélène Cajolet-Laganière, Cette publication qui aura bientôt quarante ans a permis à des milliers de secrétaires d’améliorer la correspondance d’affaires des entreprises. Il en est de même, bien sûr du Multidictionnaire de la langue française de Marie-Éva de Villers qui en est à sa sixième édition.

Mais les effectifs ainsi que les budgets ne cessent de diminuer. Au 31 mars 2010, près de 84 % des 5850 entreprises inscrites à l’Office détenaient un certificat de francisation, alors qu’en 2016, 83,7 % des 6803 en détenaient un. Le travail de certification des entreprises employant 50 personnes ou plus n’est toujours pas terminé et ne le sera jamais. Durant les premières années le taux a augmenté de façon significative et régulière alors qu’il plafonne maintenant.

Le nombre d’entreprises fluctue d’une année à l’autre puisque le tissu industriel est en constante évolution. On peut simplement affirmer qu’actuellement, quarante ans après l’adoption de la Charte, la très grande majorité des entreprises et des organismes de l’administration répondent aux exigences de la loi.

Faut-il en conclure que le français au travail est la réalité de la majorité des travailleurs et travailleuses? Bien sûr que non. En 2006, l’Office québécois de la langue française a reçu pas moins de 16 000 plaintes concernant des programmes informatiques offerts uniquement en anglais, dont des jeux vidéo. Les données de l’époque indiquent que moins de 10 % des jeux les plus populaires sont alors offerts en français au Québec, tandis que cette proportion atteint 80 % en France et d’autres pays francophones.

Le bilan malgré tout de la francisation des entreprises et de l’administration au Québec me semble positif, mais l’effet anglicisant de la mondialisation, sans compter l’intégration des travailleurs immigrants ne maîtrisant pas le français, demeure un souci permanent. Les comités de francisation autrefois bien appuyés par les syndicats – en particulier la FTQ – qui sont les principaux acteurs de la francisation de leurs entreprises n’ont pas de pouvoir et ne reçoivent aucun soutien de l’État. Les cours de francisation donnés à l’intérieur des entreprises encouragent les allophones à apprendre la langue que parlent déjà leurs enfants qui fréquentent les écoles primaires et secondaires. « Ils veulent pouvoir les aider dans leurs devoirs » disait Mario Ayala, Salvadorien d’origine, délégué syndical d’une grande manufacture de vêtements de Montréal. Ces cours permettent également aux parents de communiquer plus facilement avec les enseignants de leurs enfants. La vigilance est de rigueur car le certificat de francisation d’une entreprise ne signifie pas nécessairement une utilisation réelle et durable du français par les travailleurs.

L’implication citoyenne

« L’inaction ne peut durer » affirmait Manon Cornellier dans Le Devoir au moment de la publication des dernières données de Statistique Canada. Le français sera toujours en position de vulnérabilité au Québec à cause de son caractère unique, celui d’une langue minoritaire dans un océan anglophone. Le déclin du français au Québec est une tendance lourde. Elle ne peut être renversée uniquement par des politiques gouvernementales. Le journaliste Robert Dutrissac, également du Devoir constatait qu’en matière linguistique, l’inaction tient lieu de politique pour nos gouvernants, En matière de langue, le déclin du français et encore plus sa qualité, ne semble pas préoccuper la classe politique.

De son côté, le Secrétariat à la politique linguistique, déclarait que « la francisation des milieux de travail demeure vitale pour l’avenir du Québec car le fait de réussir économiquement et socialement « en français » reste encore la plus grande motivation à apprendre et à utiliser le français ».

Ce constat nous amène à dire qu’il appartient aujourd’hui à la société civile de prendre en mains le maintien, la diffusion et l’amélioration de la qualité du français au Québec.

Les partenaires et les moyens

Ne pensez pas que je veux retourner aux campagnes du « Bon Parler français » bien qu’elles aient eu dans leur temps des effets d’entraînement sur la qualité du français écrit et parlé dans les médias : journaux, radio et télévision.

En 2017, les partenaires d’une telle mission devraient être les ordres et associations professionnelles, syndicales, culturelles, sociales et d’affaires. Il y en a des centaines au Québec peut-être des milliers. Ces associations ont le pouvoir de rejoindre un public extrêmement varié, englobant des Québécois et Québécoises de toutes origines. Si chacune d’entre elles se donnait comme objectif de sensibiliser ses membres à l’amélioration de la qualité de langue d’accueil, de l’affichage, d’échanges dans l’espace public, de communication écrite et orale, de produits culturels (journaux, radio, télévision, spectacles, internet, etc.), donc si tous ces partenaires étaient engagés dans ce but commun, des changements importants pourraient avoir lieu comme ce fut le cas dans les années 1980.

L’un des partenaires les plus importants d’un tel programme est sûrement le monde de l’enseignement. Comment expliquer que des jeunes ayant complété onze années d’études, soit le niveau secondaire d’études, ne puissent s’exprimer correctement en français, truffent leurs discours de mots « anglo-américains » et peinent à exprimer une idée claire? Faut-il remettre en question la qualité même de l’enseignement du français, la langue parlée des enseignants, le peu d’heures consacrées à l’enseignement de la langue maternelle ? Il en est de même de l’enseignement de l’anglais au primaire et secondaire. Il est si déplorable alors qu’on a sous la main quantité d’enseignants maîtrisant parfaitement cette langue, que les parents – un sondage récent vient de le révéler – veulent avoir le droit d’inscrire leurs enfants dans les écoles anglaises au risque de les angliciser. Et que dire de la ruée vers les cégeps anglophones? C’est à la Fédération des syndicats de l’enseignement du Québec qu’il appartient de répondre et d’effectuer les changements qui s’imposent auprès de ses membres.

Un deuxième partenaire qui pourrait influencer la qualité du français écrit et parlé dans les médias est sûrement la Fédération professionnelle des Journalistes du Québec. L’usage du français dans l’espace public est pitoyable. Notre culture, déjà fragilisée par un contexte historique et géographique, est en train de se dissoudre dans une langue française qui tôt ou tard nous isolera de la francophonie. Il est lamentable d’entendre à Radio-Canada, aussi bien à la radio qu’à la télévision, des animateurs utiliser le « joual », le franglais, une langue molle, une accentuation tonique à l’anglaise, une langue de fond de cuisine, pour expliquer aux auditeurs et auditrices, les grands enjeux de notre société. Pourquoi ne pas utiliser un français de qualité, comprenant des québécismes, des régionalismes, une langue française de chez-nous qui n’a rien de parisien, mais qui n’est pas un calque de l’anglais? Il est si simple de dire « pas de souci » plutôt que « pas de problème » qui est la traduction de « no problem ». Il fut une époque où la langue parlée sur les ondes était écoutée par des spécialistes qui rapportaient leurs erreurs aux journalistes et animateurs. Cela n’existe plus. On s’est débarrassé des Ayatollahs de la langue. Maintenant les souris peuvent danser et couiner.

Serait-ce rêver, considérant leur popularité et l’énorme influence qu’ils exercent que de souhaiter que les humoristes participent aussi à cet objectif par le biais de leur association? Leur talent me dispense de leur suggérer des pistes.

Et que dire de la langue de la musique populaire qui nous accompagne du matin au soir dans les magasins, les centres commerciaux, les restaurants? Nos jeunes chansonniers, rockeurs et rappeurs sont pour la plupart extrêmement créatifs. Leur popularité en témoigne. La majorité utilise l’anglais pour communiquer avec leur public rêvant d’une carrière internationale. Mais pourquoi ne pas offrir aux clients du Québec, dans les endroits publics, ceux et celles d’entre eux qui chantent en français? Ils sont des centaines que nous retrouvons dans les festivals de tout acabit.

Avant de conclure, pourrais-je demander à ceux et celles qui assistent à cette conférence de refuser le Bonjour-hi qu’on nous sert de plus en plus. C’est très facile. Il suffit de dire : « Je ne comprends pas ce que vous dites ».

Au Québec, on dit « Bonjour ». No French, no business. Il en est de même du « Bon matin » calque du « Good morning » Bonjour est tellement plus simple.

Le français, c’est payant

Pour faire accepter la francisation aux entreprises et commerces, au début de l’application de la Charte de la langue française, il fallait que ça rapporte. Pour faire accepter aujourd’hui, l’utilisation d’un français de qualité dans l’espace public, il faut aussi que ça rapporte. Il faut prouver au monde que les Québécois maîtrisent non seulement un excellent français mais connaissent aussi l’anglais et de plus en plus une troisième langue qui est souvent l’espagnol. Voilà un atout que possèdent de plus en plus les enfants d’immigrants issus de la loi 101 et une quantité appréciable d’anglophones. Un français de qualité est un moyen de promotion sociale, notamment grâce à l’offre d’emploi de qualité et au développement de partenariats économiques avec les pays de la francophonie. Montréal compte la plus grande proportion de trilingues en Amérique du Nord. C’est une richesse inestimable pour notre société.

C’est par notre ténacité, notre amour de cette langue et notre désir de la parler correctement que nous la préserverons. Toute intervention de notre part est utile. S’abstenir, c’est renoncer à se faire respecter.

Il faut plus de mobilisation citoyenne, plus de rêves, plus d’exigences pour faire en sorte que le français demeure notre langue nationale et s’inscrive dans les cinq premières langues de communication internationale. Soyons fiers de parler au Québec un français de qualité, écouté et compris par tous.

Solange Chalvin

Solange Chalvin

Solange Chalvin a partagé sa carrière entre le journalisme et l’administration publique québécoise. À l’époque où il n’y avait pas d’école de journalisme, André Laurendeau fut son mentor. Elle fut alternativement responsable de la page féminine, puis du secteur de l’éducation, de la santé et des affaires sociales au journal Le Devoir de 1962 à 1975.

En 1962, bien avant la publication du célèbre rapport Parent, elle écrivit avec Michel Chalvin, Comment on abrutit nos enfants un livre pamphlétaire pour l’époque.

Après l’obtention d’une maîtrise en administration publique à l’ÉNAP de l’Université du Québec, elle occupa plusieurs postes de direction au Comité pour la protection de la jeunesse, à l’Office des services de garde à l’enfance et à l’Office de la langue française où elle consacra une dizaine d’années à la francisation des entreprises et de l’administration publique et à l’amélioration de la qualité de la langue française au Québec.

Elle a collaboré à différents médias et participé à plusieurs organismes publics et privés dont elle a assumé la présidence et la gestion : la Société de la sclérose latérale amyotrophique du Québec de 1990 à 1999, le centre de bénévolat SARPAD Côte-des-Neiges de 1997 à 2002, le groupe Le pont entre les générations de 1998 à 2004. Sa carrière fut couronnée par plusieurs prix de journalisme décernés par le Club des journalistes canadiennes.

En 2020, Solange Chalvin s’est vue décerner le Prix Georges-Émile-Lapalme, la plus haute distinction accordée par le gouvernement du Québec à une personne ayant contribué de façon exceptionnelle, par son engagement, son œuvre ou sa carrière, à la qualité et au rayonnement de la langue française parlée ou écrite au Québec.