Il y a 50 ans, la Convention de la Baie-James et du Nord québécois
Le 11 novembre 1975, après des années de contestations judiciaires, des représentants des Cris, des Inuits et du gouvernement du Québec signaient la Convention de la Baie-James et du Nord québécois (CBJNQ), ouvrant la porte à l’exploitation des ressources naturelles du Nord-du-Québec en échange d’importantes concessions aux communautés autochtones qui y vivent.
Le « projet du siècle »
En avril 1971, le gouvernement québécois annonce un ambitieux plan de développement hydroélectrique de la Baie-James.
Pour les Cris, le « projet du siècle » est une menace existentielle. En effet, l’aménagement envisagé par Québec mènerait à l’inondation et à la perte d’innombrables territoires de chasse et de pêche, des activités non seulement essentielles à leur subsistance, mais aussi profondément ancrées dans leur culture et leur identité.
Avec le soutien de l’Association des Indiens du Québec (AIQ), les Cris entament des négociations avec Québec. Les discussions ne faisant aucun progrès, ils font front commun avec les Inuits et s’adressent à la Cour supérieure du Québec en novembre 1972 pour demander l’arrêt des travaux, invoquant les impacts irréversibles sur leur mode de vie et sur l’environnement du Nord-du-Québec.
En novembre 1973, au terme de longues procédures, la Cour supérieure se prononce en faveur des Cris et des Inuits et reconnaît, pour la première fois au Canada, l’existence des droits ancestraux des Autochtones. Les travaux sont suspendus, mais la victoire est de courte durée : une semaine plus tard, la Cour d’appel du Québec renverse la décision.
Cris et Inuits à la table de négociation
Une demande d’appel est adressée par les avocats des Cris et des Inuits à la Cour suprême, mais elle est rejetée – le projet de la Baie-James doit aller de l’avant coûte que coûte. Devant cette nouvelle impasse, les discussions avec Québec reprennent vers la fin de l’année 1973. Les Cris forment bientôt le Grand conseil des Cris et négocient en leur nom propre. Une entente de principe avec Québec est finalement conclue en novembre 1974 : les Cris et les Inuits acceptent de cesser leurs contestations judiciaires, alors que Québec s’engage à proposer un traité.
Dans la CBJNQ, d’importantes compensations politiques, culturelles et économiques sont accordées aux Cris, aux Inuits (et aux Naskapis, qui signeront la Convention du Nord-Est québécois en 1978). La Convention vient d’abord encadrer le développement économique du Nord-du-Québec. Des territoires sont désormais réservés aux Autochtones, qui peuvent aussi exercer leurs activités traditionnelles sur les terres cédées jusqu’à ce qu’elles soient développées.
Les hauts et les bas de la Convention
Premier traité moderne réglant une revendication territoriale au Canada, la CBJNQ est un jalon dans le développement du droit autochtone au Canada. L’accord règle en effet plusieurs questions par rapport à l’enseignement, au gouvernement local, à la justice, à la santé et aux services sociaux, au développement économique de la région ainsi qu’à la protection de la faune et de l’environnement, accordant de fait aux communautés autochtones le contrôle de ces compétences provinciales. L’Administration régionale crie de la Baie-James et l’Administration régionale Kativik, au Nunavik, verront le jour en 1978, dans le sillage de la signature de la CBJNQ.
La CBJNQ entre en vigueur en novembre 1977, mais son application demeure longtemps contentieuse. Des tensions refont surface entre Québec et les Cris, qui sont les plus directement affectés par les projets du gouvernement. Malgré la signature de cette « Charte des droits des Cris », comme l’a surnommée le grand chef Billy Diamond, les contestations juridiques reprennent rapidement devant l’ampleur des bouleversements.
L’impact environnemental est énorme : les rivières Caniapiscau, Opinaca et Rupert sont dérivées, alors que le débit de la Grande Rivière augmente considérablement, ce qui mène à l’inondation de milliers de kilomètres carrés de forêt boréale. Les répercussions sur le mode de vie traditionnel des Autochtones sont considérables. Le village de Chisasibi, situé sur l’île de Fort George, devra d’ailleurs être déplacé sur les berges de la Grande Rivière à cause de l’érosion.
Le point de rupture est presque atteint lors du référendum de 1995 : en cas d’indépendance du Québec, les Cris disent vouloir demeurer au sein du Canada. Les tensions ne se règleront qu’en 2002, lorsque la « Paix des Braves » sera signée entre le Grand Conseil des Cris et Québec.