L’enracinement et la transformation d’un mouvement social. La Fédération régionale des caisses populaires Desjardins du Centre du Québec et ses établissements affiliés 1909-1970
Cette étude sociohistorique est consacrée à l’Union régionale des caisses populaires Desjardins de Trois-Rivières, la plus ancienne des onze fédérations régionales, et à ses caisses affiliées depuis leurs origines jusqu’au tournant des années 1960. Elle se veut une contribution à la connaissance du mouvement des caisses à un double point de vue : la formation et les transformations de son organisation à l’échelle locale et régionale; et, d’autre part, les relations qu’il entretient et les intérêts qu’il met en jeu dans son milieu ambiant. Partant d’une exploitation systématique des archives de la Fédération des caisses populaires Desjardins du centre du Québec et de ses établissements affiliés de même que celles de la Confédération des caisses Desjardins, l’analyse est menée sous l’angle de quatre grandes dimensions d’analyse intrinsèquement liées : les bases sociales du mouvement des caisses, sa relation au territoire, ses dynamismes internes ainsi que ses activités financières. L’évolution du mouvement des caisses est donc appréhendée à travers un ensemble de facteurs qui relèvent tant de pressions structurelles internes que des rapports qu’elles entretiennent avec le milieu social.
Le monde rural a constitué en quelque sorte le berceau du mouvement des caisses dans la région du centre du Québec. Jusqu’à la veille de la Deuxième Guerre, celui-ci entretient des relations privilégiées avec le monde agricole, la petite bourgeoisie et le clergé. Cette alliance s’est historiquement nouée sur la base d’un projet aux contours bien définis : soutenir les activités des petits producteurs par des conditions de financement avantageuses et, plus largement, regénérer le tissu social d’une société rurale en proie à d’importantes forces de dislocation. Avec la force d’attraction exercée par la ville et l’activité des grands ensembles commerciaux, financiers et industriels, les caisses urbaines vont progressivement s’imposer comme l’élément moteur de la croissance du mouvement. Leur affirmation favorise, au fil des décennies, l’élargissement des bases sociales du mouvement et la redéfinition des rapports de pouvoir à sa direction. Ses anciennes classes d’appui doivent en effet faire une place de plus en plus grande aux nouvelles, issues de l’économie urbaine et industrielle et porteuses de toutes autres aspirations. Elles doivent également compter avec l’influence grandissante exercée par les gérants de caisse en voie de professionnalisation.
Le caractère inégal du réseau des caisses de la région apparaît comme une donnée incontournable pour cerner les enjeux qui ont été associés à la formation de l’Union régionale de Trois-Rivières (URTR) et à son évolution subséquente. Cette dernière a incarné avec une énergie sans cesse renouvelée l’idée d’un pouvoir régional fort au sein de l’organisation du mouvement des caisses. Dès sa création, l’URTR est investie d’une triple mission qu’elle se disputera plus tard avec la Fédération provinciale : étendre le réseau des caisses à l’ensemble des paroisses de la région, assurer leur suivi quotidien et leur inspection et, enfin, centraliser les disponibilités locales au sein de sa caisse régionale. La réussite de cette entreprise est toutefois loin d’être assurée au départ. À peine mise en activité, la jeune Union est confrontée à d’importantes résistances de la part des caisses locales. Cette opposition empruntera plusieurs sentiers : refus de s’affilier, de se faire inspecter, de déposer à la caisse régionale, d’acquitter sa cotisation annuelle, mouvement sécessionniste d’un groupe de caisses sud-riveraines, etc. Des tensions d’un genre similaire impreignent les négociations menées par les unions régionales autour du projet de se fédérer au sein d’un organisme provincial. Dans le cadre de ces discussions avec les dirigeants des autres unions, l’URTR négocie avec âpreté son espace au sein du mouvement. Sous-financée et soumise aux susceptibilités autonomistes de ses caisses affiliées, elle demeure la chose d’un petit groupe d’hommes d’affaires recruté principalement des milieux urbains de la rive nord et de curés rattachés aux établissements ruraux avoisinants.