Problème de l’heure : problème d’orientation. L’économique et le national
Conférence prononcée le 12 février 1936 devant la Chambre cadette de commerce de Montréal et le 14 février 1936 devant le jeune Barreau de Québec.
Extrait
Il est entendu je pense, que nous vivons en Confédération. Mais, de cette Confédération, qui est responsable? Je l'ai déjà dit : nous-mêmes, les Canadiens français, seuls ou presque seuls. La minorité de cette province n'a pas demandé, que je sache, cette forme d'État politique : et ce n'est pas pour la minorité que la Confédération fut faite. Demandée par nous, elle a été faite pour nous. Et voici une deuxième vérité, non moins manifeste : nous avons demandé les institutions fédératives, non pour des motifs d'ordre économique ou politique, mais, au premier chef, pour des motifs d'ordre moral : je veux dire d'ordre national et spirituel. La survivance de notre langue, de notre culture, de nos traditions historiques, juridiques, religieuses, exigeait, avons-nous cru, une certaine autonomie politique et nationale. Et voici une troisième vérité non moins manifeste : à cette ferme fédérative de l'État canadien qui impliquait la résurrection politique et nationale de notre province, les contractants de 1867 ont acquiescé unanimement. Le parlement impérial a ratifié lui-même cet acquiescement, en même temps qu'il s'inclinait devant notre volonté. Pesez bien, je vous prie, les termes de cette déclaration de lord Carnarvon faite à la Chambre des lords le 19 février 1867, à mon sens, texte capital : « Le Bas-Canada est jaloux et fier à bon droit de ses coutumes et de ses traditions ancestrales : il est attaché à ses institutions particulières et il n'entrera dans l'union qu'avec la claire entente qu'il les conservera... La Coutume de Paris est encore le fondement reconnu de leur code civil, et leurs institutions nationales ont été pareillement respectées par leurs compatriotes anglais et chéries par eux-mêmes. Et c'est avec ces sentiments et à ces conditions que le Bas-Canada consent maintenant à entrer dans cette Confédération. » Ces paroles ne souffrent pas d'équivoque. Elles me permettent d'énoncer une quatrième vérité : nous avons demandé les institutions fédératives, ai-je dit; nous l'avons fait avant tout pour des motifs d'ordre national; ce vœu et ces motifs furent agréés par tous; il s'ensuit qu'en 1867, il fut agréé unanimement que cette province constituerait, dans le cadre de la Confédération, un État national, un État français. Et j'ajoute enfin ma cinquième et dernière conclusion : à cet État français, vous concédez sans doute le droit à tous les organes d'un État viable; et vous admettez en particulier la nécessité d'un appui matériel à toute vie spirituelle, en d'autres termes, la nécessité d'une certaine indépendance économique pour la conservation de la culture nationale; en outre, cette nécessité, vous la reconnaissez d'autant plus que, de nos jours, l'empire se révèle tout-puissant de l'économique sur la vie politique, sociale, morale, intellectuelle, culturelle d'un peuple; eh bien, du même coup, vous êtes forcés d'admettre qu'il n'y a de peuple et d'État viables, maîtres de leur destinée, que l'État et le peuple maîtres de leur vie économique.