Au Canada. L’origine d’un prolétariat
La formation d'un prolétariat, d'une classe de dépossédés n'ayant plus que des moyens précaires de vie et de travail, est un phénomène économique qui, après l'Europe, a gagné peu à peu les groupes ethniques apparemment les mieux garantis contre cet affaissement culturel et social. Le cas est particulièrement saisissant au Canada français (en gros la province de Québec, quatre fois grande comme la France), peuple terrien et traditionnel s'il en fut jusqu'en plein XXe siècle, où. l'économie s'est relativement peu industrialisée. Pour des yeux européens, accoutumés à des ravages d'une autre ampleur, ce glissement paraîtra encore bien réduit, et l'on sera tenté de trouver le regard de M. L. Groulx un peu pessimiste. Mais l'analyse du phénomène, de ses causes, de ses conséquences, dans un pays qui aurait pu et dû être sauvé de ce fléau, n'en est que plus instructive.
M. l'abbé Lionel Groulx, professeur d'histoire du Canada à l'Université de' Montréal, l'auteur du remarquable ouvrage Le Français au Canada que vient de publier l'Institut des Études Américaines de Paris, historien de métier et fils d' « habitant » élevé avec les ruraux, joint à la précision technique de l'historien le sens aigu de l'expérience sociale. À la place des lieux communs qui nous sont trop souvent servis sur le Canada, il nous apporte faits et textes, les uns dans la lumière des autres.
D'où l'intérêt particulier, et la valeur de première main, de cette conférence donnée, le 5 décembre 1931, au « Cercle Universitaire » de Montréal, où il a décrit en clinicien le drame formidable de la coulée d'un peuple vers la ville.
Aussi bien chez les techniciens agricoles et les économistes, que dans l'auditoire immédiat où se trouvait l'élite des professions libérales, cette conférence a suscité un extrême intérêt, – à l'heure précisément où le gouvernement de Québec étudie l'organisation d'un régime d'assurances sociales, imposé par l'évolution économique et sociale du Canada français.