Un imbroglio territorial en Montérégie au temps du Bas-Canada : la Seigneurie de La Salle
Sur la rive sud de Montréal, recouvrant en partie les villes actuelles de Saint-Constant, Saint-Édouard, Saint-Rémi et Saint-Mathieu, la seigneurie de La Salle était située en second rang derrière les seigneuries de Châteauguay et de Sault-Saint-Louis (Kahnawake), entre les seigneuries de Beauharnois et de La Prairie de la Magdeleine. A partir de la réduction territoriale que La Salle a subie au début du XIXe siècle, nous étudions les questions de découpage liées à l’instauration des cantons aux confins des seigneuries en conséquence de l’Acte constitutionnel de 1791 qui créa le Bas-Canada.
Après un procès en bornage dont le jugement en 1805 statuait que la ligne de profondeur de la seigneurie de La Salle devait être une droite joignant ses lignes latérales, le procureur général Jonathan Sewell porta la cause en appel. Le jury comprenait les bénéficiaires désignés du canton de Sherrington destiné à jouxter La Salle à sa limite sud. En 1807, le jugement en appel décréta que La Salle serait désormais bornée en profondeur par une ligne brisée, ce qui lui fit perdre environ le cinquième de son territoire, lequel devint partie du canton de Sherrington et fut donc soumis au régime de propriété en franc et commun socage.
Les censitaires établis dans le secteur détaché de La Salle demandèrent les secours de la Chambre pour conserver leurs biens en conformité de leurs actes de concession. Près de quinze ans après le décret de 1807, l’affaire fut portée en appel devant le Conseil privé de Londres et la solution appliquée en 1823-1824 fut la rétroconcession des parties visées du canton de Sherrington en quatre petites seigneuries, après l’annulation des lettres patentes ayant érigé et partagé ce canton entre des membres du Conseil exécutif.
Cet épisode fait prendre conscience de certains des problèmes que peuvent susciter les interventions cadastrales sur des territoires déjà lotis et occupés. Pour la période étudiée, il met en lumière les difficultés des colons pour se défendre de spéculateurs occupant des postes privilégiés et le rôle essentiel que jouèrent en Chambre les députés majoritairement canadiens pour protéger les intérêts de leurs compatriotes. De Simon et Christophe aux patriotes Charles-Amable et Christophe-Ambroise, l’imbroglio territorial eut des incidences néfastes sur trois générations de Sanguinet, seigneurs de La Salle. Il fut l’unique cas de réduction d’une seigneurie à être ordonné par un recours en justice de l’État bas-canadien, auquel fut également apportée une solution d’exception.