Un combat d’école? Le champ historiographique vu de Québec (1947-1965)

Résumé

Après les chocs de la crise des années 1930 et de la Deuxième Guerre mondiale, les conditions de production et la représentation de l’histoire du Québec entrent dans une phase de profondes mutations. Alors que s’enfièvre le débat autour des causes du « retard » de la société québécoise et l’enjeu de sa « modernisation », le savoir historique que convoque une nouvelle génération de jeunes universitaires entend offrir une nouvelle intelligibilité de l’être-ensemble francophone. L’« école historique de Québec », qui a réuni des figures historiennes majeures comme Marcel Trudel, Fernand Ouellet et Jean Hamelin, naît dans cette foulée de changements où elle configurera, dans ses querelles nourries avec l’école de Montréal, une matrice fondamentale de l’historiographie québécoise contemporaine. Objet familier de notre mémoire savante et constitutif du récit des origines de la discipline historique au Québec, l’« école de Québec » n’en demeure pas moins une sorte d’évidence héritée et non problématisée, dont la construction rétrospective dénote une finalité utilitaire et idéologique plutôt que proprement heuristique. Or, l’évidence apparente du sens que l’on a longtemps perçue dans cette « école » dissimule une complexité que cette thèse s’emploie à analyser plus finement. Qui sont Trudel, Ouellet et Hamelin? Quelle place occupent leurs travaux dans l’historiographie québécoise et canadienne? Quelles influences ont-ils agrégé? Quel « récit des origines » du groupe ont-ils accrédité? Dans quelle mesure se sont-ils mis au service d’une option politique?

Face à la difficulté de parler d’une école au sens fort du terme en raison, notamment, de la variété de sa production historiographique, de l’absence d’une doctrine intellectuelle puissamment articulée chez ses membres et de la discontinuité des générations et des trajectoires individuelles qui l’ont caractérisée, notre recherche s’emploie à retracer l’histoire de ce groupe d’historiens aux contours flous, à mieux cerner son identité et situer son apport à la recomposition du champ intellectuel et historiographique québécois d’après-guerre. Notre thèse soutient que la position originale du trio lavallois fut d’avoir constitué, plutôt qu’une école de pensée, une « école d’activité » (Samuel Gilmore), organisée autour d’une conception semblable des pratiques et de la méthode historienne plutôt que d’une orthodoxie ou un modèle d’interprétation unifié et cohérent. Bien entendu, cette disposition n’a pas pour autant empêché ces historiens de se reconnaître un même « air de famille » et d’esquisser un horizon interprétatif commun.

Dans une perspective alliant l’historiographie et l’histoire intellectuelle, cette étude lève le voile sur les cheminements, à la fois convergents et divergents, de trois historiens majeurs du Québec contemporain situés à l’intersection des champs universitaire, intellectuel et politique. Ce faisant, elle offre un point d’observation privilégié pour jauger les rapports évolutifs entre le savoir historique et la culture au Québec et cerner la particularité du « terreau » intellectuel lavallois dans la spécificité de ses réseaux nationaux et internationaux ainsi que de ses accointances avec la pensée antinationaliste, libérale et fédéraliste d’après-guerre.

Année de publication
2018
Type
Thèse de doctorat
Université
Université de Montréal
Nombre de pages
652
Ville
Montréal
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