Rivalités autour de la pêche au saumon sur la rivière Ristigouche : étude de la résistance des Mi’gmaqs (1763-1858)
Entre 1760 et 1858, les Mi’gmaq de Sainte-Anne-de-Restigouche font face à une redéfinition du mode d’occupation et d’exploitation du territoire gaspésien et de ses ressources naturelles. Le peuplement, le développement de la pêche commerciale au saumon, la diminution des stocks et l’ingérence accrue de l’État dans la gestion de cette ressource génèrent un phénomène de concurrence autour de la rivière Ristigouche. Le présent mémoire a pour objectif d’étudier la réaction des Mi’gmaq à la remise en question d’une manière éprouvée de subvenir à leurs besoins collectifs.
La pêche au saumon constitue une part importante du mode de vie traditionnel des Mi’gmaq et un apport alimentaire majeur pour la communauté. Le saumon est aussi, par le troc ou la vente, une source de revenus permettant de pallier la diminution du gibier et de combler par l’achat de denrées les périodes de disette. La réaction des Mi’gmaq à la compétition entourant l’exploitation des pêcheries de saumon est symptomatique des heurts qui surviennent en Gaspésie. Deux cultures, deux conceptions divergentes de l’exploitation des ressources naturelles s’affrontent : la logique de subsistance des Mi’gmaq reposant sur la consommation des ressources disponibles au fil des saisons sur un vaste territoire cohabite difficilement avec une exploitation intensive réalisée dans un objectif de rentabilité commerciale. Le saumon est utilisé ici comme enjeu révélateur des tensions qui s’installent autour de la rivière Ristigouche. Il nous permet d’éclairer sous un nouveau jour la réaction des Mi’gmaq de Sainte-Anne-de-Restigouche aux transformations rapides de leur environnement.
Nous soutenons que dans un contexte défavorable au maintien de leur mode de subsistance, les Mi’gmaq ne sont pas restés passifs. Cette étude met en évidence les réactions des Mi’gmaq aux changements et les formes prises par leur résistance. Nous considérons que cette résistance s’articule essentiellement en trois phases. Les réactions les plus courantes des Mi’gmaq au cours de la période que nous qualifions d’affirmation (1760-1786) sont l’envoi de pétitions, de plaintes et de requêtes aux autorités, ainsi que l’affirmation des limites du territoire de chasse et de pêche qu’ils revendiquent. Ces actions se poursuivent de 1787 à 1826, cependant, nous assistons à une montée de l’exaspération et de l’agressivité, à l’endroit des pêcheurs eurocanadiens rivaux, perceptible par des gestes de grabuge et d’intimidation. De 1827 à 1858, les Mi’gmaq doivent diversifier leurs sources de subsistance. Nous constatons pourtant que bon nombre des emplois choisis, tels ceux de guide ou de bûcheron, s’inscrivent aisément dans un mode de vie nomade. Il y a visiblement persistance de certaines pratiques traditionnelles, du nomadisme et de la pêche au saumon. Enfin, la résistance se poursuit par l’envoi de pétitions, par l’utilisation des outils légaux coloniaux, par l’occurrence de gestes de grabuge et par l’envoi d’une délégation à Londres.