Un pour tous... et chacun pour soi : quand l’individu prend la place de la famille dans le cinéma québécois d’après 1960
Ce mémoire s’intéresse aux enfants et à leur place dans la famille au Québec depuis les dernières décennies. Depuis la Révolution tranquille, la famille est une institution en profond changement, et les relations entre ses membres se transforment constamment. Pour observer les familles québécoises et particulièrement les relations entre les parents et les enfants, pour renouveler ce sujet et l’aborder d’une manière originale, nous avons utilisé des films de fiction et des documentaires où les enfants sont mis de l’avant, au sein de leur famille et avec d’autres adultes. L’utilisation de moyens et longs métrages est légitime à nos yeux car ceux-ci sont un reflet de la société. Certes, les cinéastes sont des artistes qui reformulent le réel plutôt que de simplement le représenter. Cependant, ce sont des témoins sensibles de leur époque, parfois leurs œuvres permettent de mieux voir le réel. Ils mettent en scène des problématiques qui touchent et préoccupent leurs contemporains.
Que ce soit ou non le sujet principal du réalisateur, la représentation de la famille et de la place des enfants en son sein a beaucoup évolué entre les années 1960 et la fin des années 1990. Passant du modèle « traditionnel » de cellule de base de la société dans laquelle chaque membre a un rôle bien défini et prédéfini, la famille devient un groupe d’individus réunis dans un projet de couple qui peut ne durer qu’un temps. À la fin du XXe siècle, autant les parents que les enfants se considèrent comme des unités distinctes plutôt que comme les membres d’une communauté indivisible. Dans les films des années 1980 et 1990, les parents prennent de moins en moins soin de leurs enfants jusqu’à les délaisser complètement, tout comme leurs responsabilités parentales. Les enfants deviennent en quelque sorte plus adultes que leurs propres parents. Quelle différence avec les films des années 1960 et 1970 qui mettaient en scène des parents de familles d’abord nombreuses, puis beaucoup moins, mais qui avaient en commun d’avoir leurs enfants comme raison première de vivre.
En contrepartie, en ces années 1960 et 1970, les enfants ne semblent pas avoir d’opinion ni de personnalité en propre. C’ est du moins ce que les adultes des films tout comme certains cinéastes donnent à voir. Au contraire, dans le cinéma des années 1980 et 1990, les petits gagnent de plus en plus une voix et une personnalité bien à eux. Ils ne sont plus muets ni obéissants, mais plutôt revendicateurs et colorés. Ils s’expriment par eux-mêmes et se distancient de leurs parents : ils sont des êtres bien distincts d’eux. La famille fait ainsi face à un phénomène d’individuation. Chaque membre d’une famille devient une personne unique et sait qu’elle est différente des autres. Le même phénomène se laisse voir aussi à l’école et dans les loisirs, tels que représentés par les cinéastes. Les études sociologiques permettent de croire de que ce qui se donne à voir au cinéma est une lecture artistique mais conforme à ce qui se passe dans les familles québécoises.
Dans ce mémoire, nous évoquons aussi l’évolution du cinéma québécois. L’Office national du film du Canada (ONF) a été un espace tout particulier de formation pour plusieurs jeunes cinéastes et ceux-ci ont tout d’abord voulu montrer les particularités du Québec. Avec le temps, des sujets plus intimes ont été mis en scène, mais peu de cinéastes se sont penchés particulièrement sur la famille québécoise et sur la place des enfants en son sein. Malgré tout, nous avons trouvé 4 films, fictions et documentaires qui respectaient nos critères de sélection. Ce sont eux qui sont analysés ici.