« Paroisses de femmes ». Expériences des femmes lors des migrations saisonnières masculines dans la région de Charlevoix, 1940-1980
La région de Charlevoix, à la géographie aussi pittoresque que contraignante, est rapidement devenue un terroir saturé, où les habitants durent user de multiples stratégies pour subsister : certains se résignèrent à partir définitivement, mais d’autres parvinrent à rester dans la région, du moins de façon discontinue. C’est ce qui donna lieu aux migrations périodiques masculines, où les hommes, pour quelques mois ou presque toute l’année, quittent leur village natal pour travailler au loin, que ce soit en mer, en forêt ou dans d’autres villes.
Dans ce mémoire, il est question non pas des hommes qui partent, mais des femmes qui restent. Nous avons voulu comprendre comment se déclinaient les expériences féminines de l’absence maritale et nous avons ainsi interviewé dix-sept femmes ayant vécu, pour la majorité, les migrations du mari et, dans quelques cas, celles du père, dans une période qui s’échelonne de 1940 à 1980. Pour appréhender cette réalité, trois niveaux ont été privilégiés : l’espace économique, pour bien définir le contexte dans lequel ces migrations ont eu lieu; l’espace familial, qui nous permet de mieux comprendre comment les femmes gèrent ce rythme d’absence et de présence maritales; et l’espace communautaire, qui nous informe de la façon dont les femmes interagissent avec ce milieu marqué par l’absence.
Territoire à la nature capricieuse, Charlevoix est un espace marqué par les allers retours de ceux qui doivent quitter mais souhaitent revenir. Pourtant, à l’inverse du nomadisme des hommes, il y a aussi l’ancrage des femmes, qui restent malgré les misères de l’absence maritale. Fortes d’une autonomie qu’elles affermissent et affirment, alors qu’elles doivent savoir se débrouiller seules, et soutenues par des réseaux de sociabilité très forts, où la famille occupe une place prépondérante, les femmes s’enracinent dans ce territoire de solitude, mais aussi de solidarité.