Les marchés de Trois-Rivières : étude de sociabilité urbaine, 1850-1900
Durant la deuxième moitié du XIXe siècle, Trois-Rivières est pourvue de trois marchés publics. Une vie intense se déroule dans ces enclaves marchandes situées en plein centre de la ville. Il existe, en ces lieux achalandés, une densification des rapports sociaux dont nous cherchons à connaître l’étendue et la diversité. Cette recherche a permis d’approfondir comment le fait de « faire son marché » représente pour le citadin une manière d’habiter la ville et pour le cultivateur, une ouverture sur l’extérieur et de quelles façons, une fois les transactions commerciales terminées, la population s’approprie soit l’édifice du marché aux denrées ou encore les différentes places de marché. Ce travail s’appuie principalement sur des recherches en archives et sur le dépouillement des journaux trifluviens pour la période de 1850 à 1900. Pour les usagers, la visite au marché implique un certain nombre de rencontres sociales : il y a d’abord les relations des consommateurs avec les vendeurs caractérisées par la fidélité des pratiques, la renommée de certains producteurs, la méfiance d’autres. Il y a également les rapports personnels entre les usagers qui, tout en faisant les courses trouvent le temps de converser. L’ambiance du marché, les cris, les odeurs, le coude à coude créent une atmosphère particulière. Une tournée des étals s’impose pour dénicher un vendeur préféré, une aubaine ou un aliment spécifique, spécialité de telle personne. Cette quête de l’approvisionnement favorise les rencontres. Sur ces places, on échange entre amis, voisins et parents. L’impression d’avoir fait un bon marché se mesure autant par les achats effectués que par la quantité de gens côtoyés.
L’approvisionnement urbain dépend de la participation d’un grand nombre d’agriculteurs offrant chacun un léger surplus. Cependant, le ravitaillement urbain reste tributaire de la température, des voies de communication, des saisons et de la créativité des cultivateurs. Parmi les emplacements de marché, l’on remarque une division sexuelle de l’espace. Le marché à foin apparaît singulièrement masculin tandis que les marchés aux denrées et à poisson regroupent autant les femmes que les hommes. De plus, ces derniers agrémentent leur passage au marché par une visite dans les hôtels avoisinants. On ne saurait exclure de ce théâtre urbain les vendeurs retors, les faux-monnayeurs et les tire-laine qui se faufilent si aisément dans la cohue. Le commerce n’a cependant pas le monopole des activités sur les marchés. L’édifice du marché aux denrées partage pendant plus de vingt ans ses locaux avec l’hôtel de ville tandis que deux salles polyvalentes sont mises à la disposition des citoyens qui y organisent des assemblées publiques, des représentations théâtrales, des rencontres de musiciens. Durant la belle saison, des artistes ambulants et des cirques s’installent sur les places. La population y revient pour s’y divertir et ce, jusque vers la fin des années 1880. Néanmoins, les enfants continueront longtemps de s’y retrouver pour pratiquer leurs jeux de balles. Cette polyvalence des marchés permet donc aux citoyens de briser leur isolement et fait de ces espaces des centres très animés de sociabilité urbaine.