Les conceptions de l’homme dans la réforme de l’éducation au Québec : luttes politiques et perspectives pédagogiques, 1960-1966
Les lendemains de la Deuxième Guerre mondiale bouleversent la situation traditionnelle québécoise. En effet, des changements sociaux se mettent en branle forçant une nouvelle adaptation à la réalité contemporaine. Parmi les préoccupations suscitées à cet égard, l'éducation occupe une place centrale; rapidement, elle devient un objet déterminant d'insatisfaction au sein de la société québécoise. Ce désir de réforme de l'éducation connaît son paroxysme au courant de la décennie 1960 dans le contexte de la Révolution tranquille. Si l'éducation éveilla à ce point l'inquiétude, c'est qu'elle canalisait des enjeux qui la dépassaient en même temps qu'ils la justifiaient. Entre autres, les débats concernant l'éducation portaient en eux une perspective révolutionnaire quant à la nature humaine, c'est-à-dire quant à la compréhension de l'expérience humaine, quant à l'interprétation de ce qui fonde et motive l'activité de l'homme et quant à une certaine finalité de l'existence de l'homme. Ainsi, les diverses conceptions de l'homme mises de l'avant par les agents de pouvoir – les autorités religieuses et les responsables politiques – ont eu une influence considérable dans le déroulement du conflit les ayant animés. En effet, nous avons observé que dans leur confrontation, les glissements dans leurs propos allant en ce sens sont récurrents lorsque les problèmes éducatifs sont évoqués. C'est que les multiples manifestations de ces conceptions de l'homme apparaissent alors comme des arguments venant légitimer leurs intentions distinctes à l'endroit de l'éducation en particulier, mais aussi à l'endroit de la direction des affaires humaines en général. De fait, quant aux réflexions sur la place et le rôle de l'Église et de l'État dans l'organisation du système d'éducation et dans la prise en charge de la société, les conceptions de l'homme soutiennent les discours de part et d'autre des agents de pouvoir. Selon les vues particulières en la matière, c'est tantôt l'Église et tantôt l'État qui se trouve investi d'un pouvoir supérieur. Ce faisant, les responsables politiques comme les autorités religieuses se donnent donc les moyens institutionnels pour faire aboutir dans des considérations pédagogiques leurs conceptions de l'homme respectives; les cursus académiques mis en place et l'orientation particulière donnée aux cours aux programmes en sont donc tributaires. Bref, nous constatons comment les conceptions de l'homme ont eu une influence sur les débats concernant la réforme de l'éducation. En effet, les perspectives différentes proposées de part et d'autre des agents de pouvoir ont placé face à face des cadres éducatifs distincts au sein desquels l'homme était appelé à se déverser, déterminant ainsi non seulement l'homme lui-même dans son existence, mais l'éducation aussi dans son fondement et sa finalité.