Le laboratoire domestique de la machine humaine : la nutrition, la modernité et l’État québécois, 1860-1945
Cette thèse se penche sur le passé de la nutrition au Québec francophone, entre la seconde moitié du XIXe siècle et 1945. Nous y explorerons l’apparition de la nutrition dans les discours de différents acteurs, tels que les médecins, l’État, les enseignantes en économie domestique et certaines compagnies de transformation alimentaire. Nous décrirons des pratiques alimentaires et des recommandations diététiques pour identifier les valeurs et les idées véhiculées dans les prescriptions sur la nourriture, les relier aux idéologies dominantes et expliquer leurs effets sur certaines politiques appliquées par l’État tant au niveau municipal, provincial que fédéral.
Nous décrirons comment les habitudes alimentaires sont modernisées par les processus d’industrialisation et d’urbanisation, et de quelle manière les experts canadiens-français réagissent à ces changements dans leurs discours argumentatifs et normatifs sur la nourriture. Les conseils nutritionnels promeuvent un idéal féminin et familial conforme au nationalisme canadien-français, au ruralisme et à la religion catholique, tout en encourageant les femmes à moderniser leur cuisine afin de mieux remplir leur rôle maternel. La nutrition remplit d’autres objectifs politiques. Telle qu’enseignée dans les écoles, promue auprès des ménagères et diffusée via des campagnes d’éducation pour la santé et le rationnement, elle contribue à la construction sociale de citoyennes et de citoyens conformes aux besoins de l’ordre libéral. En décrivant les améliorations diététiques comme le résultat d’un travail maternel naturel, individuel et rationnel, les experts minimisent l’impact de la pauvreté sur la diète et la santé, ce qui justifie le non-interventionnisme de l’État. Dans les années 1920 et 1930, quelques intellectuels des sciences sociales et nutritionnistes anglophones contestent cette conception et réclament des mesures aidant à la redistribution de la richesse, contribuant à la mise en place de l’État-providence. Néanmoins, la plupart des discours sur l’alimentation restent socialement conservateurs et soutiennent les idéologies dominantes et le statu quo politique jusqu’au milieu des années 1940.