La campagne de libération de l’Europe de l’ouest (6 juin 1944–8 mai 1945) à travers les récits autobiographiques et les romans publiés par des combattants québécois francophones
Entre 84 000 et 90 000 Québécois francophones ont servi outre-mer dans 1’Armée canadienne durant la Seconde Guerre mondiale. Ces hommes ont été pour la plupart des engagés volontaires longtemps négligés par les historiens et marginalisés dans la mémoire collective québécoise francophone. On assiste cependant au Québec à un renversement de perspective depuis environ une décennie.
L’étude des représentations de ces combattants constitue une avenue peu explorée par les historiens d’ici. Pourtant, il s’agit d’un domaine en pleine effervescence dans le monde anglo-saxon et en France, notamment. Nous avons voulu savoir comment les fantassins et les artilleurs québécois francophones se sont représentés le champ de bataille et le quotidien au front pendant la campagne de libération de l’Europe de l’Ouest (6 juin 1944-8 mai 1945). Nous avons retenu cinq récits, deux romans de guerre et un recueil de lettres évoquant cette campagne, la plus représentée parmi les témoignages publiés par des volontaires québécois francophones. Ces témoignages redonnent vie au conflit à partir de points de vue personnels qui permettent d’appréhender la dimension profondément humaine et intime de la guerre. En ce sens, ils constituent autant de « lieux de mémoire » de l’expérience de ces engagés volontaires.
Comme nous le verrons dans le chapitre initial, notre recherche opère un va-et-vient continuel entre l’histoire et la mémoire, entre le témoin et l’historien. Notre démarche s’inspire des travaux de John Keegan, Paul Fussell, Frédéric Rousseau et de ceux de l’Historiai de Péronne (Stéphane Audoin-Rouzeau et Annette Becker). Ces historiens proposent un changement de perspective dans l’étude de la guerre, appréhendée sous l’angle sociologique, culturel et anthropologique. Cette approche s’intéresse à la guerre vue « par le bas », ce qui permet l’exploration des représentations des combattants. Notre travail s’inspire aussi des lointains travaux de Jean Norton Cru qui a classé, trié et analysé des centaines de témoignages publiés par des combattants des tranchées dans un ouvrage intitulé Témoins (1929).
Après avoir présenté les assises historiographiques et les critères ayant servi a l’élaboration du corpus, nous résumons dans le second chapitre la contribution des Québécois francophones à la campagne, puis nous présentons les huit ouvrages. Le troisième chapitre aborde la violence de guerre, l’armement, les violences interpersonnelles entre belligérants, les blessures, la mort ainsi que la représentation de l’ennemi. Le dernier chapitre évoque la vie quotidienne au front ainsi que la psychologie du combattant soumis aux attaques sensorielles et à la peur. Enfin, nous analysons trois moyens évoqués pour tenir face à la violence et à l’incertitude, soit le moral, l’ esprit de corps et la religion.