Formation et développement d’une petite-bourgeoisie franco-américaine de la Nouvelle-Angleterre (Fall River, 1870-1920)
La présente recherche vise à retracer les origines sociales de la petite-bourgeoisie franco- américaine de la ville de Fa11 River, de l’État du Massachusetts,et de suivre son cheminement depuis 1870 jusqu’en 1920. Elle s’inscrit dans une démarche qui procède à la fois d’une analyse globale de la petite-bourgeoisie en tant que classe sociale différenciée et par l’attention portée aux itinéraires socioprofessionneIs d’individus qui en constituent le noyau dur. Analyses intermittentes et longitudinales se conjuguent pour cerner l’évolution de cette classe sociale à moyen et à long termes. Dans un premier temps, elle retrace les antécédents socioprofessionnels de ses constituants et tâche d’évaluer l’incidence de la mobilité sociale dans la composition de cette petite-bourgeoisie tout en mesurant l’impact de la structure sociale héritée du Canada français. Non seulement identifie-t-elle sa composition initiale, mais elle suit ses transformations sur cinq décennies pour comprendre les changements d’ordre conjoncturel et structurel observés d’un recensement a l’autre.
Cette étude scrute attentivement la création d’une petite-bourgeoisie d’affaires issue du contexte américain en tenant compte de la structure sociale locale. En plus d’identifier ses secteurs d’activités et d’évaluer ses assises matérielles, cette partie de la recherche suit la progression des gens d’affaires et met a profit les recensements et les rapports d’enquête sur le crédit.
Le phénomène de la persistance socioprofessionnelle fait l’objet d’une attention particulière. A cette fin, nous procédons au recoupement des corpus extraits de quatre recensements officiels et de deux guides d’adresses franco-américains. Il s’agit, plus exactement, d’évaluer le taux de persistance socioprofessionnelle sur des périodes de dix ans et de vingt ans. Nous analysons également les antécédents socioprofessionnels et l’incidence de la mobilité sociale ainsi que le degré de persistance selon les quatre sous-catégories professionnelles retenues. Parmi le groupe de persistants de vingt ans et plus (ou le noyau dur de la petite-bourgeoisie), constitué de plus de 300 individus, on reconnaît plusieurs acteurs recensés pour la première fois durant la décennie de 1870. Ces derniers joueront un rôle primordial dans l’histoire de la communauté, soit par leur implication dans la vie nationale, dans la vie politique à l’échelle municipale ou comme professionnels et gens d’affaires influents parmi leurs compatriotes. Le rayonnement de cette élite laïque au sein de la communauté franco-américaine débordera parfois l’échelle régionale pour atteindre l’ensemble de la Nouvelle-Angleterre.
Chevauchement entre persistance à moyen et a long termes, prédominance de la première génération, vieillissement relatif, sont autant d’indices que le noyau dur de la petite-bourgeoisie, et, par conséquent, de l’élite franco-américaine, prend racine au États-unis des les années 1870. En fait, il est sans doute plus à propos de parler de consolidation d’une élite franco-américaine plutôt que d’une régénération pour la période couverte par cette recherche. Cette thèse de doctorat fait usage d’une documentation archivistique constituée principalement de quatre recensements fédéraux nominatifs, de répertoires d’évaluation de crédit, de journaux et d’annuaires. Son caractère novateur tient d’abord au choix du sujet . Elle constitue la première recherche à s’intéresser aux caractéristiques socio-économiques de la petite-bourgeoisie franco-américaine. Contrairement aux travaux antérieurs, qui ont étudié les élites sous l’angle des discours et des actions articulant le projet collectif de la survivance, nous nous intéressons aux pratiques individuelles exprimant des préoccupations d’ordre matérialiste et de promotion sociale. Nous dégageons les axes de leurs pratiques socio-culturelles quant à leur participation au réseau associatif et à la scène politique locale. Leurs comportements révèlent des stratégies de promotion sociale et de processus identitaires multiples. Les formes de leadership pratiquées par les élites laïques démontrent que l’idéologie de la survivance s’articule au sein d’un pluralisme idéologique lié directement à l’importance grandissante d’une petite-bourgeoisie émergeant du contexte américain.