« Demandez à quelqu’un qui sait » : discours des publicitaires et des experts de la famille sur les enfants et la consommation à Montréal au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale (1944-1954)
L’historiographie se rapportant à la famille et à l’enfance traite d’une période de plus de deux cents ans en Europe, aux États-Unis et au Canada. Cette étude se situe à l’intersection de cette vaste historiographie avec celles relatives à la consommation, à la publicité, aux mesures sociales et à l’État-providence. C’est par le croisement de celles-ci que nous cherchons à éclairer un pan de l’histoire de l’enfance et de la famille montréalaise.
À Montréal, au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, que révèlent les discours des publicitaires et des « experts » de la famille concernant les enfants et la consommation? À l’aide d’une analyse de contenu des publicités parues dans le quotidien La Presse et dans le mensuel Revue moderne ainsi que des écrits des experts dans la revue L’École des parents et dans différentes publications, nous avons tenté de répondre à cette question.
À cette époque, les publicitaires misent sur plusieurs stratégies pour rejoindre les parents et leurs enfants. Ils s’appuient essentiellement sur le sentimentalisme des parents quant à leurs enfants en insistant sur les notions de santé, de sécurité et de bonheur. L’enfant est alors utilisé davantage comme un argument de vente que considéré comme un public cible. Il est ainsi intégré au monde adulte et est très peu souvent représenté comme étant indépendant de sa famille.
Les experts, quant à eux, cherchent à présenter aux familles montréalaises un modèle de consommation à l’intérieur duquel elles doivent s’inscrire afin d’accéder à cette normalité que l’on cherche à construire au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale. Dans les discours des experts de la famille, ce sont encore une fois les parents qui devraient consommer pour leurs enfants, ces derniers ne bénéficiant pas d’une autonomie consommatrice. On tente donc d’informer et d’éduquer les parents pour que ceux-ci consomment « de la bonne façon » pour leurs enfants.
Ces constatations nous poussent donc, à l’instar des analyses récentes de certains chercheurs canadiens, à remettre en question la « consommation débridée » associée à l’après-guerre. Même si, dans les discours des publicitaires et des experts, la consommation est loin d’être restreinte, elle n’est pourtant pas poussée à son maximum en ce qui concerne les enfants. Trois enquêtes nous amènent encore une fois à relativiser l’atmosphère de consommation de l’après-guerre à Montréal. À cette époque, tous ne profitent pas de cette période de prospérité, particulièrement les familles ouvrières aux prises avec une situation économique précaire.