De la charité au bonheur familial : une histoire de la Société d’adoption et de protection de l’enfance à Montréal, 1937-1972

Résumé

La Société d’adoption et de protection de l’enfance (SAPE) à Montréal est, de 1937 à 1972, la plus importante agence de placement en adoption du Québec. Elle regroupe, de fait, les services d’adoption des trois principales crèches franco-catholiques de la métropole. L’étude de cette agence permet ainsi de jeter un regard historique sur les origines de l’adoption légale au Québec; sur les enjeux suscités à la suite de l’avènement des nouvelles techniques de placement hors murs; sur les traitements que l’on réservait aux enfants sans famille (illégitimes pour la plupart), aux mères biologiques et aux parents adoptifs; ainsi que sur le rôle de l’État provincial dans la question de l’adoption. S’appuyant en bonne partie sur le dépouillement des fonds issus du Centre Jeunesse de Montréal et des archives du gouvernement provincial, nous pensons que cette thèse saura combler un vide historiographique manifeste puisqu’aucune analyse n’a été menée jusqu’à présent sur l’ensemble des principaux aspects touchant l’histoire de l’adoption au Québec. Ce faisant, on verra à travers cette étude que si seuls les enfants illégitimes ou sans parent peuvent, à partir de 1925, bénéficier des bienfaits de l’adoption légale, ils s’avèrent également les premières victimes du marché noir de l’adoption puisqu’aucune loi ne les protège ni ne régule leur circulation. Or, une telle discrimination ne manque pas d’avoir un impact déterminant sur l’évolution de la SAPE. En effet, le mandat initial de la SAPE, loin de se limiter à l’adoption des bébés, vise également le soutien de l’ensemble des enfants en difficulté. Des enjeux politiques et idéologiques l’amènent cependant, après la Seconde Guerre mondiale, à renoncer à de telles ambitions. Elle investira dès lors l’essentiel de ses ressources dans la promotion et le placement des enfants en adoption. Mais la SAPE ne pourra s’appuyer totalement sur les savoirs théoriques et techniques développés ailleurs en Amérique du Nord pour mener à bien sa mission. Plusieurs facteurs sociaux, dont celui d’un marché de l’adoption qui ne favorise guère la clientèle infantile, la contraignent, en effet, à concevoir son propre ordre de priorités dans l’application de ses pratiques. Elle saura néanmoins, avec la Révolution tranquille, adapter son administration aux nouveaux impératifs de la rationalité managériale afin de « vider les crèches » comme jamais auparavant. C’est également à cette époque que l’État se met de la partie pour favoriser une solution perçue comme la meilleure pour régler le « problème des enfants seuls » en mettant en place, notamment, une politique de soutien à la promotion de l’adoption. C’est cependant la réforme du Code civil et de la loi d’adoption, ainsi que l’application de mesures universelles d’assistance économique qui s’avèreront parmi les stratégies les plus efficaces pour régler cette question. Cependant, la véritable solution au problème ne viendra pas tant de la SAPE ou de l’État, mais bien des mères naturelles elles-mêmes qui, à la fin des années 1960, garderont leur bébé auprès d’elles, boudant dorénavant les crèches et les orphelinats qui, pourtant, constituèrent pendant très longtemps le mode privilégié d’assistance à l’enfant sans famille. Au final, le regard que l’on porte sur l’évolution de la pratique de l’adoption et du discours y afférant, se fait l’écho d’une transformation sociétale beaucoup plus profonde, alors qu’un ordre de régulation basé sur le collectif fortement normé que constitue l’institution familiale fait graduellement place à un mode d’insertion sociale plus individualiste qui caractérise aujourd’hui la majorité de nos sociétés occidentales.

Année de publication
2010
Type
Thèse de doctorat
Université
Université du Québec à Montréal
Nombre de pages
613
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