Science, culture et nation
Prononcer le nom de Marie-Victorin, c’est d’abord évoquer le Jardin botanique et la Flore laurentienne. Toutefois, ces grandes réalisations ont marqué le fait que ce frère des Écoles chrétiennes fut aussi, au cours de l’entre-deux-guerres, une figure centrale du milieu intellectuel québécois. Il s’est intéressé de près aux problèmes de son temps et n’a pas ménagé ses interventions publiques pour défendre avec fermeté ses projets et ses idées sur l’enseignement et la culture scientifiques, car il était convaincu que « nous ne serons une véritable nation que lorsque nous cesserons d’être à la merci des capitaux étrangers, des experts étrangers, des intellectuels étrangers ».
En réunissant ici les « textes de combat » de Marie-Victorin, Yves Gingras fait découvrir au lecteur une pensée vigoureuse qui contraste avec les discours conservateurs tant cités et auxquels on limite à tort l’éventail des idées exprimées au Québec au cours de l’entre-deux-guerres. Ces textes méconnus contribueront à mieux faire comprendre la diversité des formes que le nationalisme a pu prendre dans cette période charnière. De « Not’ langue » en 1915 à « La science et notre vie nationale » en 1938, les interventions de Marie-Victorin sont parmi les plus virulentes publiées dans la presse de l’époque. Qu’on en juge :
1932 : « Parce que nous récusons le rôle des nègres blancs et que nous réclamons le droit de choisir nos maîtres et de déterminer nous-mêmes nos admirations [ ...], on nous a taxés de francophobie. »
1937 : « Que les éléments ultra-conservateurs du clergé, et les laïques qui gravitent autour d’eux — et qui sont souvent, comme on dit, plus catholiques que le Pape ! abandonnent l’idée de dresser un mur de Chine autour de la province de Québec. »
1938 : « Aucun peuple ne peut aujourd’hui subsister s’il n’apporte pas sa part à l’édifice du progrès intellectuel, moral et matériel, s’il n’est en état de rayonner autour de lui. [...] Il est peut-être temps que nous ouvrions les yeux à cette réalité. Notre état social actuel ne peut durer. Nous allons changer ou disparaître. »
Le frère Marie-Victorin, des Écoles chrétiennes, né Conrad Kirouac (1885-1944), fut écrivain et botaniste. Professeur à l’Université de Montréal de 1920 à 1944, il est surtout connu pour avoir fondé le Jardin botanique de Montréal.
Yves Gingras est professeur au département d’histoire de l’Université du Québec à Montréal.