Lauréat 1998 : Marcel Olscamp
Attribué pour la deuxième fois cette année, le Prix Jean Éthier-Blais de critique littéraire a été décerné à Marcel Olscamp pour son ouvrage Le Fils du notaire : Jacques Ferron, 1921-1949 : genèse intellectuelle d’un écrivain (Fides, Montréal 1997). Le prix est doté d’une bourse de trois mille dollars (3000 $). Il a été remis au lauréat lors d’une cérémonie tenue le mercredi 21 octobre à la Fondation Lionel-Groulx, au 261, avenue Bloomfield, Outremont. À la même occasion un hommage particulier a été rendu à Jean Éthier-Blais, ancien président de la Fondation Lionel-Groulx et bienfaiteur insigne de celle-ci.
Le livre de Marcel Olscamp nous propose, d’une façon tout à fait originale, plus qu’une biographie des années de jeunesse de Ferron. Certes, il retrace avec le plus d’exactitude possible les événements déterminants de cette période de la vie de l’écrivain. Mais il donne à voir aussi le contexte social du Québec de cette première partie du XXe siècle. Sur les traces de cet homme aux multiples facettes, nous trouvons dans Le fils du notaire, Jacques Ferron, les différents mouvements d’idées auxquels pouvait être exposé un jeune québécois de bonne famille durant les années 1920 à 1950.
Allocution du lauréat
Jean Éthier-Blais et Lionel Groulx seraient sans doute fort amusés aujourd’hui de voir leurs noms associés à un prix qui récompense un ouvrage portant sur Jacques Ferron : ils comptèrent tous deux parmi les souffre-douleur favoris du romancier, et nul doute que l’ironie de la chose doit les faire sourire, s’ils nous regardent.
Les tout premiers commentaires sarcastiques de Jacques Ferron sur la pensée de l’abbé Groulx remontent à 1937 et se poursuivront publiquement jusqu’au milieu des années 1970; c’est dire la persistance du désaccord idéologique entre les deux hommes ! En privé, l’auteur des Escarmouches se montrait toutefois plus sensible et nuancé à son endroit. En 1961, apprenant par un tiers que le Chanoine avait été attristé par l’une de ses plus virulentes attaques au sujet de Dollard des Ormeaux, le Dr Ferron fit alors ce qu’il faisait toujours en pareil cas : il rédigea une lettre destinée à atténuer un peu la portée de ses paroles. Cette missive, qu’on peut encore lire aujourd’hui dans les archives du Centre de recherche Lionel-Groulx, débutait comme suit :
Je regrette de vous avoir offensé. Je voudrais vous dire, en guise de réparation, qu’un des livres où j’ai appris la ferveur était de vous. Votre premier livre. Il s’intitulait, je crois, Une croisade d’adolescent. Le père Boutin, jésuite, mon préfet de discipline et votre ancien élève, à qui j’avais fait part de mon admiration, avait à ce sentiment ajouté le sien, beaucoup plus fort, beaucoup plus vif ; j’en avais été pénétré. Et la peccadille pour laquelle je comparaissais devant lui, comme une poussière emportée par le vent, avait complètement disparu. De sorte qu’à la fin de cette rencontre nous avions complètement oublié son objet [1].
Jacques Ferron ne fut pas non plus très tendre pour Jean Éthier-Blais : ainsi, en 1972, à l’occasion de l’une de ses redoutables lettres au Devoir, il laisse tomber ce jugement catégorique : « Monsieur Éthier-Blais vient de consacrer une thèse à Borduas. Ce serait une preuve que l’automatisme est une chose bien morte [2] ». Quelques années plus tard, à la parution du Dictionnaire de moi-même, il publia le bref commentaire suivant, que je cite presque intégralement :
M. Jean Éthier-Blais, de l’Académie, vient de se livrer follement, à un public pour lequel il n’a que du mépris et qui le lui rend bien, par un livre suicidaire. […] J’ai lu. C’est très bien ; c’est même émouvant, mais ça manque de sang. Je dirais même que c’est blet, tout à fait ramolli, point encore gâté comme une poire à son meilleur, et que somme toute le suicide de notre auteur consiste à s’être proposé bien bon, comme un petit pot de confitures [3].
Je ne serais guère surpris qu’on trouve un jour, dans les archives de Jean Éthier-Blais, une lettre mi-figue, mi-raisin de Jacques Ferron destinée à se faire pardonner quelques-unes de ces phrases assassines. L’auteur des Signets, pour sa part, se devait, à cause de son rôle de critique officiel, de manifester un peu plus de pondération professionnelle à l’endroit de son « adversaire ». Ses opinions sur les œuvres de Ferron sont quand mêmes assez tranchées ; ainsi, en 1969, la parution du Ciel de Québec suscitait-elle chez lui ces remarques incisives :
C’est un rébus de galettes qui forment une « brique » de près de quatre cents pages, un pavé, une tuile. La méthode de M. Jacques Ferron est contestable. Il s’agit, dans une certaine mesure, d’un roman à clés. Les clés sont là qui tintent, on vous ouvre la porte et puis il n’y a que l’imagination de M. Ferron. Nous sommes loin du compte. […] Pour tout dire ce livre eût mérité de n’être pas raté [4].
Quelques années après le décès du romancier, Jean Éthier-Blais, toujours dans le cadre de sa chronique du Devoir, fit de lui un portrait assez émouvant, empreint de nostalgie pour les passes d’arme de naguère, laissant à penser que l’ironie ferronienne allait malgré tout lui manquer :
Il fut un signe de contradiction, ce qui est bien le plus bel hommage que les lecteurs et les aficionados de la littérature peuvent rendre à un manieur de plume. Les tièdes donnent rarement prise à un sentiment riche et fort. L’homme-Ferron est dans son œuvre, avec son sourire méprisant, son regard scrutateur et bon, son haut front d’intelligence souveraine, sa fierté ironique d’être québécois, sa générosité d’âme, son besoin de réinventer l’histoire, et soudain, sa cruauté [5].
Je suis d’autant plus heureux de l’honneur qui m’est fait aujourd’hui que Jean Éthier-Blais, sans le savoir, fut en partie à l’origine de mon livre, ou plus exactement de son idée. Étudiant au doctorat à l’Université McGill, je discutais un jour avec lui de la personnalité de Jacques Ferron ; c’est alors qu’il attira mon attention sur le fait que la famille du romancier, unique dans l’histoire de la culture québécoise, comportait curieusement plusieurs individus exceptionnels, tant par leurs œuvres que par leur engagement dans la société. Cette réflexion eut sur moi, qui cherchais désespérément un sujet de thèse original, un effet déclencheur ; et c’est en voulant répondre à cette question d’ordre sociologique que j’ai en partie rédigé Le fils du notaire.
J’ai eu par la suite, heureusement, l’occasion de révéler à Jean Éthier-Blais le rôle discret, mais capital qu’il avait joué dans la genèse de mon essai ; il n’en parut pas trop malheureux, ce qui constitue encore pour moi la plus insigne des récompenses. J’ose donc espérer qu’il ne serait pas fâché non plus de voir son nom ainsi accolé à celui de son meilleur adversaire, Jacques Ferron.
Notes
[1] Jacques Ferron à Lionel Groulx, lettre, 8 mars 1961. Centre de recherche Lionel-Groulx, service des archives, n° P1/A, 1343.
[2] Jacques Ferron, Les lettres aux journaux, colligées et annotées par Pierre Cantin, Marie Ferron et Paul Lewis, Montréal, VLB éditeur, 1985, p. 326-327. Lettre parue originellement dans Le Devoir (9 août 1972, p. 4) sous le titre : « La surveillance policière des arts ».
[3] Ibid., p. 462. Lettre parue originellement dans Le Devoir (15 mai 1976, p. 18) sous le titre : « Lexique de lui-même ».
[4] Jean Éthier-Blais, « La galette de Papa Boss », Le Devoir, 27 septembre 1969, p. 13.
[5] Id., « L’homme-Ferron est dans son œuvre et ses lettres », Le Devoir, 3 décembre 1988, p. D8.