Jonathan Livernois récompensé pour sa biographie de Gérald Godin
Le prix Jean-Éthier-Blais 2024 de la Fondation Lionel-Groulx a été décerné à Jonathan Livernois pour son édition critique Godin, parue chez Lux Éditeur. La remise du prix s’est déroulée hier soir en présence du lauréat, de la présidente du jury, Sophie Marcotte, et de la directrice générale de la Fondation Lionel-Groulx, Myriam D’Arcy. Doté d’une bourse de 3000 $, ce prix récompense annuellement l’auteur de la meilleure œuvre de critique littéraire, écrite en français, publiée au Québec, et portant sur un aspect, un écrivain ou une œuvre de la littérature québécoise de langue française.
Dans sa décision, le jury mentionne que « cette biographie de Gérald Godin retrace avec tendresse et humour le parcours du poète et homme politique, tout en éclairant la vie de personnalités du monde artistique et politique, notamment celle de sa compagne, Pauline Julien.
Allocution de Sophie Marcotte, présidente du jury
Madame la Présidente,
Monsieur le Vice-président,
Madame la Directrice générale,
Mesdames et Messieurs du Conseil d’administration,
Et vous toutes et tous qui êtes présentes et présents ce soir, chers ami·e·s de la Fondation, chers collègues, chères lectrices et chers lecteurs,
Je suis honorée qu’on m’ait demandé de présider pour une seconde fois le jury du Prix Jean-Éthier-Blais.
Mes remerciements vont à Madame Myriam D’Arcy et à M. Étienne Lafrance pour leur soutien et l’aide apportée tout au long du processus.
Cette année, 25 ouvrages ont été soumis pour le prix, provenant de 11 maisons d’édition.
Mes collègues Nathalie Watteyne et David Bélanger ont accepté de faire partie du jury. Je les remercie pour leur investissement dans l’évaluation des ouvrages et pour les discussions stimulantes que nous avons eues sur chacun d’entre eux, discussions qui se sont déroulées dans une atmosphère de collégialité et de grand respect.
Nathalie Watteyne est professeure de littérature à l’Université de Sherbrooke, où elle dirige également le Centre Anne-Hébert. Elle a contribué à l’édition des Œuvres complètes d’Anne Hébert en cinq volumes parus aux Presses de l’Université de Montréal. Elle a également publié plusieurs recueils de poésie, dont Le sourire des fantômes en 2021.
David Bélanger est professeur de littérature à l’Université du Québec à Trois-Rivières. Il est spécialiste de littérature québécoise contemporaine. Il a remporté le prix Jean-Éthier-Blais 2020 pour l’ouvrage Il s’est écarté. Enquête sur la mort de François Paradis, coécrit avec Thomas Carrier-Lafleur. Il est aussi directeur adjoint de la revue Tangence.
J’ai le privilège, dans mes fonctions pédagogiques au Département d’études françaises de l’Université Concordia, d’enseigner la littérature et la culture québécoises en français, à des Québécoises et Québécois, mais aussi à des étudiantes et étudiants du reste du Canada et d’un peu partout dans le monde, engagé·e·s dans un processus d’apprentissage du français, qui souhaitent une immersion dans la culture francophone du Québec. Je les invite notamment à être attentives et attentifs aux manifestations littéraires dans l’espace public montréalais, celui qu’elles et ils occupent dans leur nouveau quotidien : je renvoie toujours au cas de Gabrielle Roy, dont le Bonheur d’occasion habite encore le quartier Saint-Henri, à celui des vers de Gaston Miron qui apparaissent sur les façades du Conservatoire de musique et d’art dramatique de Montréal et, bien évidemment, à celui du poème « Tango de Montréal », de Gérald Godin, reproduit, comme nous le savons, sur le mur de briques d’un triplex du Plateau, à proximité de la station de métro Mont-Royal, tout près de là où Godin a lui-même habité. C’est l’occasion, du même coup, d’évoquer avec les étudiantes et étudiants les figures qui ont joué un rôle important dans l’histoire du Québec à la fois dans les sphères littéraire et politique. Cet automne, j’en ai profité pour leur recommander vivement la lecture de Godin de Jonathan Livernois, paru chez Lux Éditeur, auquel le jury, après ses délibérations, a unanimement décidé de remettre le prix Jean-Éthier-Blais 2024.
Godin, la biographie écrite par Monsieur Livernois, retrace avec tendresse et humour le parcours du poète et homme politique, tout en éclairant la vie de personnalités du monde artistique et politique, notamment celle de sa compagne, Pauline Julien. On y entend la voix du biographe, qui mène son récit avec grande virtuosité; y sont lisibles toutes les années d’investissement intellectuel de même que l’ampleur du travail de dépouillement d’archives. Cette riche matière se conjugue à un amour de la culture du Québec qui transparait du début à la fin du récit. Le jury est persuadé que le travail de Jonathan Livernois occupera une place de premier plan dans l’histoire des idées au Québec.
Le jury tient à souligner l’apport fondamental du livre de Pierre Hébert, Faut-il (encore) protéger la fiction? Combats pour la liberté d’écrire et de lire au Québec, qui propose une traversée des mécanismes de la censure à l’œuvre dans l’Histoire du Québec, pour produire une réflexion audacieuse sur les enjeux actuels liés à la liberté d’expression.
Le jury souhaite par ailleurs rendre hommage, par une mention spéciale, à deux personnes décédées au cours de la dernière année, dont les ouvrages étaient en lice pour ce prix : Normand Chaurette, avec Tombeau, un essai consacré à Marie-Claire-Blais, et Annette Hayward, avec son édition critique de La correspondance entre Louis Dantin et Germain Beaulieu. Une grande amitié littéraire (1909-1941). La contribution de ces deux essayistes à la vie littéraire et culturelle est riche et significative.
Au nom du jury, je tiens à féliciter chaleureusement le lauréat, Jonathan Livernois, pour ce remarquable accomplissement, et je le félicite pour l’obtention du prix Jean-Éthier-Blais 2024.
Sophie Marcotte
Présidente du jury
Allocution de Jonathan Livernois, lauréat
Chère Myriam D’Arcy, chers membres du conseil d’administration de la Fondation, chers membres du personnel de la Fondation, chers membres du jury, chers amis, mesdames et messieurs,
Le 8 novembre 1965, Jean Éthier-Blais écrivait ces mots dans une lettre adressée à un éditeur montréalais :
Cher monsieur,
J'ai lu avec intérêt votre article sur le joual dans Le Devoir de samedi et, évidemment, avec encore plus d'intérêt les quelques lignes que vous me consacrez (en lien avec Baillargeon et Toupin). Je tiens à vous remercier de ce jugement aimable dont il va sans dire que je ne le partage pas. Je dois à la vérité de vous préciser que je suis hélas loin de bien écrire. Peut-être que dans 20 ans, j'aurai un style à moi qui sera français mais en attendant ce que vous avez écrit m'a touché et je vous en remercie de tout cœur.
Jean Éthier-Blais
Cette lettre, on l’aura compris, est traversée d’une ironie cinglante. Son destinataire : Gérald Godin, éditeur, poète et journaliste. Qu’avait-il donc dit à propos du grand critique du journal Le Devoir? Dans ce même journal, le 6 novembre 1965, il avait déclaré :
Je n'ai donc pas le choix. Même en essayant de parler français, je fais dans le joual. Alors, pourquoi ne pas carrément opter pour le joual? Je n'essaie pas de parler comme le peuple ni d'attraper ces maladies : je les ai moi aussi dans les neurones ces maladies, je les ai dans la peau ces maladies. Il n'y a que Pierre Baillargeon, Paul Toupin, Jean Éthier-Blais et quelques autres à pouvoir écrire en bon français ici. Mais assez curieusement ils n'ont de goût que pour les écrivains du grand siècle ou le suivant : les de Sévigny, de Staël, Montesquieu, Rochefoucauld dont ils font les seuls vrais écrivains et plus curieusement encore, c'est comme eux qu'ils écrivent. Ils n'écrivent pas le français du 20e siècle mais celui du XVIIe siècle.
Godin, cherchant à se tailler une place comme écrivain et éditeur, ne travaillait pas à l’époque à la hache mais bien plutôt au lance-flammes. Ça lui aura valu quelques inimitiés.
Vous aurez deviné, tout de suite, le grand amour entre Jean Éthier-Blais et Gérald Godin… Je ne sais pas si les choses se sont améliorées au fil des années, mais j’en doute. C’est donc avec un certain amusement, mais aussi en me disant que l’histoire littéraire finit par aplatir bien des différends, que j’imagine les deux hommes côte à côte. Réunis, qui plus est, rue Bloomfield, à Outremont, chez le chanoine Groulx. L’image est piquante…
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Je suis particulièrement reconnaissant à la Fondation Lionel-Groulx de m’avoir décerné le prix Jean-Éthier-Blais. C’est un prix qui m’est cher, surtout en regard de la liste de ses anciens récipiendaires. C’est un prix qui me fait également plaisir puisqu’il constitue un magnifique point d’orgue. La biographie a paru il y a plus d’un an. Elle a reçu un accueil qui m’a honoré; j’ai vite senti qu’elle aurait une belle vie et qu’elle pourrait avoir, peut-être, une certaine longévité. Ce travail, je l’ai fait avec probité tout en comprenant qu’on n’épuise jamais la vie d’un homme. C’est l’une des choses que j’ai apprises grâce à mon ami Pierre Nepveu, qui m’a gentiment accompagné, avec sa discrétion habituelle, pendant cette aventure. Il en va de même pour mon ami Jean-François Nadeau, qui était aussi passé par là avec Pierre Bourgault. Mes remerciements vont aussi à mon éditeur, Lux, dont le travail a été une vraie bénédiction. Je remercie aussi ma famille, mes parents, Yves et Louise, ainsi que mon épouse Marie-Josée. Et surtout, mon fils Julien.
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Dans une remise de prix, il est parfois attendu que l’on tire notre bonhomme vers l’actualité. Et ça tombe bien, c’est la montagne qui semble venir à Mahomet ces jours-ci. En effet, Gérald Godin a été titulaire du ministère des Communautés culturelles et de l’Immigration de 1980 à 1985. Certains l’auront considéré (et certains le considèrent toujours) comme une sorte d’idéaliste, peu conscient d’enjeux qui n’ont fait que s’accentuer depuis trente ans. Après tout, comment pouvait-il y croire tandis que les Grecs de sa propre circonscription de Mercier n’ont jamais voté en masse pour lui? Mais Godin était un poète. Et, ça n’a l’air de rien, comme ça, mais le poète ne perd jamais son Nord : la dignité humaine. Je me permets de redire ce que j’écrivais il y a près d’un an dans un texte du Devoir :
Le ministre Gérald Godin n’a pas l’air d’un homme assiégé. Il ne donne pas l’impression que le fatum va bientôt s’abattre sur le Québec. Bien sûr, les chiffres (la « plomberie », dit-il) arrivent très vite dans sa réflexion ; Gérald Godin n’était pas plus tête en l’air que n’importe quel ministre. Mais ces considérations arrivent quand même après l’humain. Godin ne pouvait certes imaginer tous les défis auxquels les gouvernements futurs seraient confrontés. La crise des migrants et celle des réfugiés climatiques, entre autres. Mais ce sont là des phénomènes historiques semblables à tous ceux que Godin étudiait, le soir, à la bibliothèque de l’Assemblée nationale, dont il était l’un des usagers les plus assidus. Si Gérald Godin est si important, aujourd’hui, c’est parce qu’il avait l’intuition que les phénomènes historiques passent ou cassent, mais que la dignité humaine, elle, demeure.
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Récemment, je suis allé dépouiller l’extraordinaire fonds de Pierre Perrault aux archives de l’Université Laval. C’est avec une très grande surprise que je suis tombé sur un dossier complet de notes et de poèmes consacrés à Gérald Godin. J’aimerais, pour conclure, vous citer quelques extraits d’un de ces poèmes, daté du 11 septembre 1995, donc quelques semaines avant le second référendum sur la souveraineté du Québec :
à gérald godin
député, ministre et poète
de tous les mots à jamais
il était député de tous les mots
qui courent les ruelles du silence
dans toutes les langues de la terre
qui cherchent refuge dans tous les ailleurs
du portugais poissonnier de la rue Saint-Dominique
à l'indonésien infirmier du Royal-Vic[…]
et je l'ai entendu à l'hôpital des derniers jours
répondre à ses infirmiers indonésiens
et à leur sourire énigmatique
qui ne lui parlaient qu'en angleterrien
du haut de leur tour Royal-Vic
sur une terre pourtant québec
encore qu’incertaine
avec les quelques mots rapaillés
de leur langue lointaine
qu’il s'était donné la peine
d'apprendre à la dernière minute
pour confondre les différences qui divisent
et proclamer à sa manière narquoise
la grande vérité des ruelles de toulmonde
et de tous les mots à jamais
jusqu'au grand jour de la dernière extrémité
Je vous remercie. Je dédie ce prix à Yvan Lamonde.