Une stratégie tranquille. Serge Mongeau et le Centre de planification familiale du Québec dans la société québécoise, 1965-1972
Les importants changements sociaux et culturels qui caractérisent la Révolution tranquille ont fait l’objet de plusieurs études. Notre mémoire s’intéresse à un aspect toutefois peu étudié jusqu’à maintenant : le mouvement d’émancipation des couples canadiens-français de la morale sexuelle catholique. L’étude de ce mouvement se fera par l’analyse du Centre de planification familiale du Québec (CPFQ), un organisme au cœur de la lutte, menée par des intervenants laïcs, en faveur du droit à la contraception pour tous. Par l’étude de son discours, de ses actions sociales et de ses initiatives auprès des gouvernements fédéral et provincial, nous cherchons à saisir l’influence de ce Centre dans une société en pleine transformation, notamment dans ses rapports à l’Église catholique.
Fondé en 1967 par Serge Mongeau, un médecin devenu travailleur social, en collaboration avec les agences catholiques de service social, le CPFQ vise à répondre aux besoins de contraception de la population canadienne-française en formant à la planification familiale des intervenants agissant auprès des milieux défavorisés. Il apparaît à une époque où l’opinion publique est déjà sensibilisée à la question mais où la société semble encore divisée. L’intérêt qu’il suscite traduit le désir de plusieurs couples de s’affranchir des directives de l’Église ainsi que la conscientisation qui s’effectue, dans quelques milieux catholiques et chez certains intervenants sociaux, devant l’urgence d’agir auprès des couples. Malgré tout, le CPFQ doit faire face à des obstacles provenant non seulement des autorités religieuses mais aussi des autorités politiques et même d’une certaine partie de la population qui craint, par exemple, d’user de méthodes contraceptives non acceptées par l’Église. Ces obstacles témoignent de son influence encore importante, même si elle est elle-même divisée sur la question . Une influence qui se fait sentir jusque dans le Centre, officiellement indépendant de l’Église, mais dont le comité aviseur est composé entre autre d’agences sociales catholiques ain si que de plusieurs prêtres et religieuses.
Le CPFQ nous apparaît donc comme le véritable reflet de la société dans laquelle il se trouve : en pleine transition, il participe de la culture catholique dans laquelle il baigne mais il revendique aussi de profonds changements, notamment la légalisation de la contraception et de l’avortement.
Cette analyse est complétée par une comparaison avec le Mouvement français pour le planning familial (MFPF), un mouvement similaire créé en France dix ans avant le CPFQ. Partageant les mêmes objectifs, ces deux mouvements divergent toutefois quant à leur structure, à l’idéologie qui les anime et aux stratégies d’action qu’ils empruntent pour parvenir aux objectifs qu’ils se sont fixés. Ces différences sont, à notre avis, causées par les contextes particuliers dans lesquels ils évoluent ainsi que par la personnalité de leurs membres fondateurs. Cette comparaison permet de démontrer la singularité d’un organisme qui s’inspira de ses prédécesseurs pour s’en dissocier et envisager la planification familiale d’une façon inédite.