« Une viande que j’ay donnée à manger à toutes les nations » : les français et les guerres autochtones du Sud, 1701-1760
Lors de la première moitié du XVIIIe siècle, les nations des Grands Lacs et les Iroquois empruntèrent fréquemment le sentier de la guerre pour aller frapper sur des groupes vivant au sud de leur territoire (notamment les Têtes plates ou Catawbas, les Chérakis et les Chicachas). Ces incursions débutèrent dès les années 1670, mais elles entrèrent dans une nouvelle dynamique au lendemain de la Grande Paix de Montréal. C’est en effet en 1701 que les Français commencèrent à inciter les Autochtones du Nord à attaquer ces nations lointaines, établies à proximité de la Virginie, de la Caroline du Sud et de la Louisiane. Si les motivations traditionnelles des guerriers autochtones (rituel de deuil, quête de prestige, etc.) étaient souvent à l’origine de ces raids, le rôle des Français derrière ce conflit s’avérait tout aussi important. En fait, au cours de la première moitié du XVIIIe siècle, les guerres du Sud représentèrent une partie intégrante de la stratégie française à l’égard des Autochtones. Elles permettaient d’abord d’opérer une diversion en occupant les nations du Nord à combattre à quelques 800 km de la Nouvelle-France. Ainsi, non seulement les Français se mettaient à l’abri contre toute attaque à leur endroit, mais ils pouvaient également espérer garantir la Pax Gallica dans les Pays d’en Haut en canalisant l’attention de leurs alliés vers un ennemi commun. Par ailleurs, dans un contexte de lutte impériale avec l’Angleterre, les Français avaient tout intérêt à encourager les guerres du Sud et particulièrement les raids des Cinq Nations, car les Têtes plates, Chérakis et Chicachas avaient contracté une alliance auprès des Anglais. Entretenir les guerres du Sud contribuait donc à diviser (et donc à affaiblir) le camp anglais en évitant tout rapprochement entre les Iroquois et les nations du Sud. À partir de 1752, après avoir longuement encouragé les guerres du Sud, les Français cherchèrent à y mettre un terme et à intégrer les nations du Sud à leur orbite. Ce revirement survint dans un contexte où la France cherchait à gagner le support des Têtes plates et des Chérakis pour s’assurer la maîtrise de l’Ohio.