Les Créoles de couleur de la Nouvelle-Orléans et leurs relations avec les affranchis (1860-1896)

Résumé

Cette thèse s’intéresse aux Créoles de couleur de la Nouvelle-Orléans et montre que leur relation avec les affranchis entre 1860 et 1896 était ambiguë, marquée à la fois par la solidarité et par la division. Précisément parce que le rapport entre les deux groupes pouvait prendre plusieurs formes, nous avons mis le mot « relation » au pluriel dans le titre.

Pendant longtemps, les historiens ont eu tendance à appréhender la relation entre les deux groupes d’un point de vue dichotomique. D’après leurs analyses, les Créoles de couleur étaient soit solidaires et unis aux Noirs, soit condescendants et distants, selon qu’ils s’identifiaient ou non à eux. Comme l’explique Shirley Thompson, pratiquement tous ont abordé cette relation en fonction d’un jugement sur l’identification raciale des Créoles de couleur et malgré les nuances apportées récemment par certains, le débat historiographique reste polarisé à bien des égards pour la simple raison que le sentiment d’appartenance identitaire des Créoles de couleur échappe à leur analyse. Afin de combler cette lacune historiographique, nous proposons une approche plus flexible des relations raciales, que nous abordons en nous détachant du paradigme binaire prédominant et en concevant davantage les Créoles de couleur comme un groupe ethnique à part entière. Notre thèse a donc été conçue dans le but de nuancer la vision dichotomique perpétuée par les historiens et de mettre en évidence la complexité de la relation entre les deux groupes, surtout au moment où les esclaves faisaient la transition vers la liberté.

La base de notre argumentation repose sur la prémisse que les Créoles de couleur étaient conscients d’appartenir à un groupe distinct et supérieur aux Noirs, à qui ils ne se sont jamais identifiés, mais cela ne les a pas empêchés de nouer un lien de solidarité avec eux durant la guerre de Sécession afin de réaliser leurs aspirations politiques et humanitaires. Pour la première fois, à partir des années 1860, il y eut un rapprochement entre les deux collectivités puisque les Créoles de couleur ont saisi l’occasion provoquée par la guerre pour entamer un mouvement de revendications progressistes qui incluait la majorité noire, mais cette nouvelle solidarité ne doit pas être interprétée comme étant un signe qu’ils s’identifiaient désormais aux affranchis. Malgré un rapprochement devenu nécessaire durant et après la guerre de Sécession, les Créoles de couleur voulaient continuer à se dissocier des Noirs parce qu’ils avaient intériorisé les préjugés raciaux de leur époque, mais aussi parce que, conscients de leurs différences identitaires, ils voulaient survivre comme groupe ethnique à part entière dans une société qui s’américanisait rapidement à partir de la seconde moitié du XIXe siècle. Entre 1860 et 1896, ils ont lutté pour la justice sociale et pour la mise en application des idéaux révolutionnaires auxquels ils adhéraient totalement, mais ils ont lutté aussi pour ne pas devenir un « peuple oublié » dans une masse noire anglophone. Leur combat était double : répandre les principes universels et protéger un patrimoine identitaire de plus en plus fragile. Bien que cette thèse porte sur la relation entre les deux groupes, elle permet de tirer des conclusions intéressantes sur l’identité des Créoles de couleur. D’un point de vue méthodologique, nous avons opté pour une démarche à la fois qualitative et quantitative qui repose sur un corpus de sources variées, allant du journalisme, au recensement, aux poursuites judiciaires, en passant par les récits de contemporains.

Année de publication
2013
Type
Thèse de doctorat
Université
Université du Québec à Montréal
Nombre de pages
389
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