Accueillir, vêtir, nourrir, instruire, éduquer et soigner : la protection de l’enfance à l’Hospice Saint-Joseph des Sœurs Grises de Montréal (1854-1911)
Dans la seconde moitié du XIXe siècle à Montréal, la bourgeoisie montante s’intéresse de plus en plus à la misère quotidienne urbaine. Avec l’appui de l’élite cléricale, elle fonde quelques institutions destinées à certaines clientèles, comme les enfants, victimes de l’industrialisation et de l’urbanisation. C’est dans ce contexte qu’Olivier Berthelet, un bourgeois canadien-français, fonde l’Hospice Saint-Joseph de Montréal. Cette institution charitable, dont nous souhaitons ici faire l’histoire, est d’abord laïque de 1841 à 1854. Elle passe par la suite aux mains des Sœurs Grises qui, rapidement, la rendent conforme aux exigences de leur foi. Elles y accueillent des femmes âgées, des enfants pauvres et des orphelins, en plus d’offrir des services aux pauvres et aux malades. Toutefois, leur principale clientèle est celle des « orphelines », une catégorie qui regroupe autant les « vraies » orphelines que les orphelines de père, de mère, et même, souvent, des enfants dont les deux parents sont vivants. Cet Hospice n’est pas une institution d’enfermement qui vise principalement à discipliner les familles pauvres, mais plutôt un lieu ouvert qui tente de s’adapter aux besoins matériels, familiaux, éducatifs et spirituels des familles. D’ailleurs, les raisons familiales pour placer les orphelines à l’Hospice sont variées. Certaines y prennent place pour des raisons de pauvreté, bien sûr, mais d’autres s’y retrouvent pour quelque temps à la suite de la crise familiale provoquée par la mort ou la maladie de l’un des deux parents. D’autres familles, souvent de la classe moyenne, placent leurs filles en ayant plutôt des visées éducatives. Pendant leur séjour, toutes ces orphelines restent en contact avec leur famille qu’elles pourront retrouver à leur sortie. S’il ne s’agit pas d’une institution de « contrôle social » au sens strict, la vie à l’intérieur des murs de l’Hospice est tout de même réglée selon certaines valeurs. Ainsi, les Sœurs offrent, en plus d’un toit et de la nourriture, une vie disciplinée, réglée par la religion catholique et fondée sur une éducation qui respecte les valeurs associées au rôle « maternel » des femmes et à la hiérarchie de classes sociales. Ces valeurs, les Sœurs les subissent autant qu’elles les imposent. Dans le cadre de la société patriarcale, où les femmes sont généralement reléguées à la sphère privée, ces Sœurs parviennent néanmoins à administrer leur institution, bien qu’elles doivent rendre des comptes à la hiérarchie catholique et aux philanthropes laïques. L’Hospice va toutefois se heurter au fil des années à des problèmes de sous-financement et de manque de personnel récurrents. La recherche incessante de fonds mènera graduellement les religieuses à transformer la vocation charitable de l’institution. En 1911, l’Hospice Saint-Joseph deviendra l’École ménagère Saint-Joseph, une école qui en plus d’être appuyée par l’Église catholique, sera financée par les fonds publics. À cet égard, la fermeture de l’Hospice illustre bien les limites du réseau d’assistance catholique mis en place au milieu du XIXe siècle.