La domesticité juvénile à Montréal pendant la première moitié du XVIIIe siècle (1713-1744)
Nous avons choisi d’étudier la domesticité chez les jeunes montréalais pendant la première moitié du XVIIIe siècle; ceci peut-être, à cause de notre affection pour ceux qui sont parmi les moins bien nantis de la société; mais c’est surtout parce que le nombre de jeunes serviteurs — nous en avons compté cent quatre-vingt-dix-sept entre 1713 et 1744 — nous est apparu suffisamment élevé pour pouvoir mener une étude qui nous permettrait de lever le voile sur une facette méconnue de l’histoire sociale canadienne : la jeunesse du régime français. Ce travail ne concerne donc que les domestiques dont l’âge ne dépasse pas seize ans au moment de l’engagement. Ce choix nous est apparu d’autant plus nécessaire, qu’après l’âge de seize ans, les salaires et les conditions de travail des domestiques diffèrent au point que les serviteurs adultes forment, à eux seuls, un groupe distinct de travailleurs qu’il faut départager des jeunes domestiques. Lorsque l’âge du serviteur n’apparaissait pas dans l’acte notarié, nous avons cherché à le découvrir à l’aide du dictionnaire généalogique Tanguay. Malgré tout, nous n’avons pu déterminer l’âge de quatorze serviteurs. Cependant la similitude dans le contenu de leurs contrats d’engagement avec ceux des jeunes domestiques dont l’âge nous est connu, nous permet de croire que la plupart d’entre eux avaient moins de seize ans au moment de leur engagement. Toutefois, un doute persistant, nous ne les avons pas retenus dans la comptabilisation de nos données. Vu l’ampleur du sujet, il nous a fallu limiter nos recherches au gouvernement de Montréal, c’est-à-dire à cette région située à l’ouest de Maskinongé et d’Yamaska et qui se termine au fort Saint-Jean, à Châteauguay et à Vaudreuil. Nous avons préféré la région montréalaise à tout autre région, simplement à cause d’une plus grande accessibilité à la documentation. La période que nous avons étudiée est celle de la « Paix de Trente ans » (1713-1744). C’est une période particulièrement favorable à l’étude de la domesticité : elle est «... pauvre en personnages de premier plan. Ce n’est pas un âge de héros », puisqu’il ne s’y passe aucune guerre véritable, l’économie et la vie en général ont pendant cette période un cours normal.
Notre documentation manuscrite couvrant la « Paix de Trente ans » provient des minutes des quatorze notaires qui ont exercé à Montréal entre le premier janvier 1713 et le trente et un décembre 1744. Nous avons dépouillé et analysé quatre cent quatre-vingt-huit actes notariés, soit les contrats de tous les domestiques que nous avons pu retrouver. Mais, pour la présente étude nous nous limiterons aux cent quatre-vingt-dix-sept contrats qui concernent plus spécifiquement notre sujet : le service des jeunes domestiques dont l’âge ne dépasse pas seize ans au moment de leur engagement. Ces actes notariés sont une source de renseignements privilégiés pour l’étude de la domesticité en Nouvelle-France : ils fournissent des informations sur le serviteur et son maître ainsi que sur les obligations de chacun d’eux. Mais l’engagement d’un domestique demeure possible sans qu’il ne soit consigné par un notaire: pour éviter des dépenses ou peut-être par simple négligence, des domestiques et des maîtres ont omis de certifier leur entente chez un notaire et se sont satisfaits d’un accord verbal ou ont fait un sous-seing privé. De tels engagements nous échappent. C’est pendant dix années le cas d’Etienne Balan dit La Comble alors qu’il se décide enfin à confirmer devant le notaire Joseph-Charles Raimbault l’engagement comme domestique de Marie-Anne, « une enfant trouvée », qui demeure chez le dit La Comble depuis sa plus tendre enfance. Néanmoins les contrats retrouvés sont suffisamment riches en informations de toutes sortes pour justifier une étude sur la domesticité. Nous chercherons donc au cours de ce travail à savoir qui étaient les jeunes domestiques. Nous nous intéresserons à leurs maîtres afin de mieux connaître le milieu de travail des serviteurs. Puis nous analyserons les causes qui poussent les parents à placer leur enfant chez un maître et ce qui amène celui-ci à engager l’enfant. Par la suite nous étudierons les conditions d’engagement et aborderons en dernier lieu l’épineuse question des relations maître-serviteur.