
Dédé Fortin : De la musique de tempête
« Je ne fais pas de grandes chansons. Les grands textes, je les laisse à Richard Desjardins, Brel, Ferré... J’essaie de faire de mon mieux », disait André « Dédé » Fortin. Et pourtant, malgré les 25 ans qui nous séparent de sa mort, ses chansons n’ont pas pris une seule ride. Nous rendons ici hommage à l’un des plus doués et des plus authentiques de nos auteurs-compositeurs.

Dans ma p’tite ville...
Né en 1962, Dédé Fortin n’était pas fait pour une petite vie ordinaire au Lac-Saint-Jean. Attiré par la création, dès son plus jeune âge, son rêve était de faire du cinéma. S’installant en ville au début des années 1980, il étudie dans ce domaine au Cégep du Vieux Montréal, puis à l’Université de Montréal.
Son talent et son imagination débordante sont vite remarqués. En 1985, il est choisi pour mener un projet complètement fou : réaliser une trentaine de vidéoclips pour des groupes de musique émergents. Malgré un budget microscopique, Dédé s’y consacre avec toute l'intensité dont il est capable. Toutefois, le projet finit par l’épuiser. En 1986, il frappe un mur. Ce n’est qu’après un long séjour dans l'aile psychiatrique de l’Hôpital Notre-Dame qu’il pourra remonter à la surface.
Ayant appris par lui-même la guitare et la batterie au fil des ans, Dédé se tourne peu à peu vers la musique. Pour s'amuser avec ses amis, il joue d’abord dans un groupe appelé Les Sneakers. Puis, à la fin des années 1980, il devient le batteur pour Cha Cha and The Chain Gang.
Durant cette période, il emménage au 2116, Saint-Laurent, un loft aux allures d’auberge espagnole. Avec son colocataire Guy Lapointe, il commence à écrire et à jouer ses propres chansons. Bientôt, d’autres musiciens se joignent à Dédé : Mike Sawatzky, Jimmy Bourgoing, Serge Robert (connu plus tard sous le nom de Mononc’ Serge) et Patrick Esposito « di » Napoli. Ils baptisent leur groupe Les Colocs.
Passe-moé la puck
Les Colocs sont animés par un sentiment d’urgence. En 1992, Dédé n’a pas payé son loyer depuis six mois. Il n’a pas fait ses impôts depuis des années et il traîne encore d’énormes dettes d’études. Son ami Patrick est aussi au bout du rouleau. Français d’origine, l’harmoniciste des Colocs souffre du sida. Son visa québécois arrive à échéance. Dans tous les sens du terme, ses jours sont comptés. Les Colocs souhaitent donc enregistrer un disque au plus vite.
Le groupe fait sensation au concours L’Empire des futures stars. Toutefois, pour conserver le choix de leur maison de disques, ils décident de ne pas participer à la finale et signent un contrat avec BMG-Québec; une chance inespérée. Leur premier album sort en mars 1993.
Le son des Colocs tranche radicalement avec celui de la pop mielleuse de l’époque. À première vue, Les Colocs incarnent une fête perpétuelle, un délire endiablé, puisant dans le rock, le blues, le reggae, le folk et tout ce qui leur passe par les oreilles. Leur mission? Répandre la joie, dit Dédé Fortin. Sa chanson Julie, une histoire d’amour qui a commencé au dépanneur autour d’une grosse liqueur, est diffusée sur toutes les ondes.
En grosses bottes, en redingote...
Les Colocs font une entrée fracassante sur la scène musicale. En l’espace de quelques mois, leur premier album se vend à 100 000 copies. Au gala de l’ADISQ d’octobre 1993, ils remportent quatre Félix, dont ceux de groupe et de révélation de l’année. Toute une surprise pour Dédé qui, trois ans auparavant, se moquait de ce genre de gala !
Le 30 octobre 1995, le soir du référendum sur la souveraineté du Québec, Les Colocs lancent leur deuxième album : Atrocetomique. Leur party aurait pu être historique. La réaction atterrée de Dédé Fortin, profondément indépendantiste, apprenant en direct la victoire du Non, marquera les mémoires.
Si les textes bien tournés des Colocs font rire, les thèmes qu’ils abordent sont souvent graves. Ces thèmes seront à l’avant-plan dans leur troisième album, Dehors novembre, sorti en 1998 : la solitude, les ruptures, les injustices, la maladie, le mal de vivre...
Depuis des années, Dédé Fortin parlait de la mort. Il était fasciné par le suicide spectaculaire de l’écrivain japonais Yukio Mishima. Un jour de mai 2000, c’est le même sort qu’il choisit, à 37 ans seulement, laissant derrière lui un vide dans le cœur des Québécois qui ne s’est jamais cicatrisé.
Dans les hauts comme dans les bas, Dédé Fortin aura vécu avec intensité jusqu’au bout.