Une véritable pionnière : Nicole Juteau

8 mars 2025

En 1975, le Québec célèbre l’Année internationale de la femme. Dans ce contexte, la Sûreté du Québec (SQ) décide d’embaucher sa première femme policière. Pour souligner le 50e anniversaire de cet événement, en cette Journée internationale des femmes, nous vous présentons le portrait de Nicole Juteau.

Nicole Juteau s’exerçant au tir au poste de Shawinigan en 1976. Photo : collection de Nicole Juteau.
Nicole Juteau s’exerçant au tir au poste de Shawinigan en 1976. Photo : collection de Nicole Juteau.

La naissance d’une vocation

Née à Montréal-Nord au milieu des années 1950, Nicole Juteau n’est pas le produit d’un milieu militant féministe. Fille d’un pompier et d’une femme avec des valeurs familiales fortes, elle a eu la simple chance de grandir dans un milieu où il n’y avait pas de discrimination entre les garçons et les filles.

Très jeune, Nicole Juteau s'affirme comme une fille d’action. Sportive avec un esprit d’équipe, c’est en tant que monitrice pour un groupe d’enfants ayant une déficience intellectuelle qu’elle comprend que sa vocation sera d’aider les autres. Durant l’adolescence, elle découvre le monde judiciaire par les chroniques radio de Claude Poirier. Ses histoires la fascinent. C'est ce qui fera naître chez elle un rêve : celui de devenir policière.

Un milieu d’hommes

En 1972, les femmes ne sont pas admises en techniques policières. Seuls les hommes peuvent devenir policiers; c’est la loi. Peu importe, se dit Nicole Juteau. Après beaucoup de discussions, elle réussit à convaincre un collège de la laisser malgré tout étudier en techniques policières. Toutefois, on lui fera signer une décharge, enlevant toute responsabilité au collège, au cas où elle ne se trouverait pas d’emploi à la fin de ses études. Déjà, les embûches ne faisaient que commencer.

Malgré toute sa détermination, Nicole Juteau doit faire face aux préjugés de la société de son temps. Beaucoup d’étudiants et même de professeurs lui disent ce qu’on lui répètera souvent au long de sa carrière : les femmes n’ont pas leur place dans la police. En dépit de tous ces obstacles, elle tient le coup. Ses résultats scolaires sont d’ailleurs excellents, tant à l'écrit que dans les épreuves physiques. Au printemps 1975, elle décroche enfin son diplôme de l’École de police de Nicolet.

Une femme qui prend sa place

Le 17 juin 1975, Nicole Juteau est embauchée par la SQ. Quelques mois plus tard, en octobre, elle commence à faire de la patrouille dans la région de Shawinigan. La patrouille, c’est le passage obligé pour tout nouveau policier. C’est une expérience de terrain incontournable qui initie à toutes les facettes de la réalité humaine, à toutes les situations imaginables : violence conjugale, problèmes de consommation, accidents de la route, etc.

Là encore, les préjugés sont au rendez-vous. Les réactions du public vont de la fierté à l’indignation à peine voilée. Il en faudra du temps pour faire entrer dans les têtes qu’elle n’est ni la femme ni la sœur d’un collègue, mais une policière à part entière!

Nicole Juteau à son bureau vers la fin des années 1970. Photo : collection de Nicole Juteau.
Nicole Juteau à son bureau vers la fin des années 1970. Photo : collection de Nicole Juteau.

Agent double chez les Hell’s Angels

Sa nomination comme enquêtrice au début des années 1980 va tout changer. C’est dans ce milieu qu’elle se sentira pleinement intégrée, enfin. Le fait d’être une femme, qui lui a été si longtemps reproché, lui permet de participer à des opérations d’infiltration dans le monde criminel. Elle côtoie ainsi des trafiquants de drogue reliés aux motards. Dans ce milieu dangereux et violent, tout peut arriver. Pourtant, jamais Nicole Juteau ne se laissera intimider.

Ces opérations lui offriront plutôt l’occasion de montrer l’étendue de ses talents d’enquêtrice, mais aussi d’actrice. Elle incarne tour à tour des prostituées, des clientes et des danseuses que l’on retrouve habituellement auprès des criminels. Non seulement il faut jouer le rôle de façon assez convaincante pour être crédible, mais il faut savoir faire preuve d’une grande patience pour établir la confiance. Nicole Juteau se mesure ainsi à des bandits qui auront intimidé bien des hommes, notamment les Hell’s Angels. Elle leur fera la lutte durant la violente guerre des motards des années 1990, jusqu’à sa retraite en 2001.

Si les échecs dans le milieu de la police sont parfois publics, les succès sont rarement connus. S’il y a un parcours qui mérite d’être mis en lumière, c’est bien celui de Nicole Juteau, une véritable pionnière.

NOTE : Cet article s’appuie sur la biographie La téméraire d’Annie Roy, parue aux Éditions Druide en 2022. Merci beaucoup à Annie Roy, Nicole Juteau ainsi qu’aux Éditions Druide pour leur aide à la rédaction de cet article.