
Exploités et réprimés : la grève de l’amiante de 1949
En février 1949, l’air est lourd au Québec. Au fond des mines d’Asbestos et de Thetford Mines, la colère gronde sous la poussière. Une guerre est sur le point d’éclater entre les mineurs et les patrons de la Johns Manville. Ces hommes s’apprêtent à plonger dans un épisode sombre de l’histoire du Québec : la grève de l’amiante de 1949.

Les raisins de la colère
À la fin de 1948, les employés de la Johns Manville doivent renouveler leur contrat de travail. Cette compagnie américaine, la plus grande productrice d’amiante à l’époque, emploie des milliers de personnes au Québec. Les mineurs sont représentés par un syndicat affilié à la Confédération des travailleurs catholiques du Canada (CTCC, ancêtre de la CSN).
Le secteur de l’amiante est connu pour ses conditions de travail extrêmement difficiles. Les mineurs touchent 85 ¢ de l’heure et passent leur vie dans un nuage de poussière d’amiante qui les empoisonne à petit feu. Leurs exigences : une augmentation générale de 15 ¢ de l’heure, l’élimination de la poussière dans les usines et aux alentours, un droit de regard sur la gestion des usines pour leur syndicat (salaires, promotions, congédiements, etc.) et l’application de la formule Rand (une forme de sécurité syndicale qui rend les cotisations obligatoires pour tous les travailleurs, syndiqués ou non).
Les patrons offrent une augmentation de 5 ¢ l’heure et quelques autres améliorations, mais refusent d’appliquer la formule Rand et de reconnaître au syndicat un droit de regard sur la gestion de leur entreprise. Ces deux exigences en particulier vont vraiment braquer les patrons contre le syndicat.
Le 14 janvier, les négociations arrivent à une impasse. La loi exige d’aller en arbitrage. Toutefois, les mineurs en ont assez. Le processus est trop long et incertain. Surtout, ils se souviennent qu’à l’automne précédent, des « grèves sauvages » de quelques jours ont permis de faire des gains intéressants pour d’autres ouvriers. C’est ainsi que, sans même se constituer de fond de grève, 5000 travailleurs de l’amiante décident de déclencher une grève générale illimitée le 13 février 1949.
Grève illégale, mais juste
Les autorités dénoncent la grève. En effet, elle viole la loi qui exige d’aller en arbitrage. Refusant de céder, la Johns Manville embauche plus de 700 briseurs de grève, une pratique courante à l’époque. Le gouvernement de Maurice Duplessis appuie les patrons et envoie des policiers pour protéger les briseurs de grève. La violence éclate. Le 21 février, le syndicat perd son accréditation. Malgré les difficultés, les ouvriers refusent de se laisser abattre par les menaces et les coups. La grève se poursuit. Le 14 mars, la voie ferrée de la compagnie est dynamitée par des grévistes.
Puis, coup de théâtre le 1er mai : l’archevêque de Montréal, Mgr Joseph Charbonneau, prononce un sermon où il prend officiellement parti pour les ouvriers. Il dénonce une « conspiration » de la part du gouvernement et de la compagnie « pour écraser la classe ouvrière ». Une quête est organisée dans tout le Québec pour soutenir les grévistes. Les 5 et 6 mai, les ouvriers barricadent les entrées de la ville d’Asbestos pour bloquer les briseurs de grève. Plus de 200 policiers les affrontent. La violence est à son maximum. Les matraques cognent. Le gaz lacrymogène se répand. Le sang coule. Plus de 180 personnes sont arrêtées et menacées de poursuites en justice.

Bilan
Nombreuses seront les vies brisées à la suite de ce conflit. Bien que la grève prenne officiellement fin le 1er juillet, la nouvelle convention collective ne sera signée qu’en janvier 1950. Le résultat sera très décevant pour les travailleurs. Après cinq mois sans salaire, ils n’obtiendront qu’une augmentation de 10 ¢ de l’heure et un système de ventilation amélioré.
Cette grève marque la fin d’une vieille relation de collaboration entre l’Église et l’État au Québec. Pour beaucoup, cette grève incarne la brutalité des relations de travail sous Maurice Duplessis. Elle marque aussi l’apparition d’un nouveau genre de syndicalisme de combat, beaucoup plus puissant qu’autrefois. Cette grève s’inscrit enfin dans une longue série de bouleversements sociaux qui éclateront durant les années 1960 et 1970.