TY - THES AU - Rachel Caux AB -
Dans la seconde moitié du XIXe siècle, la grande région de Québec connaît une phase de commercialisation plus intensive de sa production de beurre domestique. Nombre de fermières sont amenées à tisser des liens serrés avec le marché. Les familles activement engagées dans le commerce du beurre domestique en retirent d’intéressants revenus et les femmes, principales responsables de cette production, en ressortent vraisemblablement avec une meilleure reconnaissance. Les activités liées à la fabrication de beurre n’échappent cependant pas à la logique de la reproduction familiale. La participation accrue des filles aux revenus de la famille pose avec une nouvelle acuité la question des inégalités entre frères et sœurs dans le partage du patrimoine familial. Ce phénomène touche également les familles de Saint-Pierre-de-l’Île- d’Orléans qui commercialisent le fromage « raffiné ». Un terroir clos et des coûts élevés du sol contraignent plusieurs d’entre elles à contrôler la sexualité de leurs enfants en retardant l’âge au mariage. Ce service familial allongé n’a cependant pas les mêmes répercussions sur les filles dont les fruits du travail constituent un rouage important de la reproduction familiale.
L’intensification de la commercialisation des productions domestiques entraîne donc, paradoxalement, des conséquences différentes en fonction du type de production, mais surtout du cadre dans lequel s’effectue la reproduction sociale de la paysannerie. D’un côté, le marché tend à affranchir les fermières, alors que de l’autre, il appelle à un renforcement de l’emprise patriarcale sur elles.
La transmission exogame des savoirs liés à la fabrication du beurre et du fromage entre en conflit avec les besoins de capitalisation de la production laitière sur ces fermes. La solution qui s’imposera sera de transférer la production vers les fabriques. Ces dernières, en effet, deviennent le lieu où s’opère une redéfinition du genre associé au travail de transformation des produits laitiers. D’ailleurs, la production en fabrique amène l’État à intervenir directement et à déplacer les modes de transmission des connaissances hors du contrôle « traditionnel » des femmes, afin de mieux en encadrer le contenu et la diffusion.
La croissance rapide du nombre de fabriques dans la région ne réussit pas à évincer du marché la production domestique des fermières. Cette dernière parvient même à freiner le déploiement des fabriques en certains endroits de la région de Québec. Le maintien d’une production domestique commerciale amène plusieurs commentateurs influents de la scène agricole à inciter les familles à transférer leur production vers les fabriques. L’enjeu ne concerne pas uniquement la domination d’un mode de production par un autre, il porte aussi sur la redéfinition des rôles « masculin » et « féminin » dans les familles rurales. Les fabriques ont constitué les lieux où se cristallise cette redéfinition du genre de la transformation laitière. Ce processus s’étend bientôt aux autres opérations de la filière laitière, réduisant graduellement le travail des fermières à la « tenue de maison ». Plusieurs finissent ainsi par intérioriser certaines des valeurs des « ménagères rurales » qui les confinent au domaine domestique, alors que les hommes tendent dorénavant à être davantage identifiés au modèle des « breadwinners » transposé au contexte rural québécois.
DA - 2012 M3 - Thèse de doctorat N2 -Dans la seconde moitié du XIXe siècle, la grande région de Québec connaît une phase de commercialisation plus intensive de sa production de beurre domestique. Nombre de fermières sont amenées à tisser des liens serrés avec le marché. Les familles activement engagées dans le commerce du beurre domestique en retirent d’intéressants revenus et les femmes, principales responsables de cette production, en ressortent vraisemblablement avec une meilleure reconnaissance. Les activités liées à la fabrication de beurre n’échappent cependant pas à la logique de la reproduction familiale. La participation accrue des filles aux revenus de la famille pose avec une nouvelle acuité la question des inégalités entre frères et sœurs dans le partage du patrimoine familial. Ce phénomène touche également les familles de Saint-Pierre-de-l’Île- d’Orléans qui commercialisent le fromage « raffiné ». Un terroir clos et des coûts élevés du sol contraignent plusieurs d’entre elles à contrôler la sexualité de leurs enfants en retardant l’âge au mariage. Ce service familial allongé n’a cependant pas les mêmes répercussions sur les filles dont les fruits du travail constituent un rouage important de la reproduction familiale.
L’intensification de la commercialisation des productions domestiques entraîne donc, paradoxalement, des conséquences différentes en fonction du type de production, mais surtout du cadre dans lequel s’effectue la reproduction sociale de la paysannerie. D’un côté, le marché tend à affranchir les fermières, alors que de l’autre, il appelle à un renforcement de l’emprise patriarcale sur elles.
La transmission exogame des savoirs liés à la fabrication du beurre et du fromage entre en conflit avec les besoins de capitalisation de la production laitière sur ces fermes. La solution qui s’imposera sera de transférer la production vers les fabriques. Ces dernières, en effet, deviennent le lieu où s’opère une redéfinition du genre associé au travail de transformation des produits laitiers. D’ailleurs, la production en fabrique amène l’État à intervenir directement et à déplacer les modes de transmission des connaissances hors du contrôle « traditionnel » des femmes, afin de mieux en encadrer le contenu et la diffusion.
La croissance rapide du nombre de fabriques dans la région ne réussit pas à évincer du marché la production domestique des fermières. Cette dernière parvient même à freiner le déploiement des fabriques en certains endroits de la région de Québec. Le maintien d’une production domestique commerciale amène plusieurs commentateurs influents de la scène agricole à inciter les familles à transférer leur production vers les fabriques. L’enjeu ne concerne pas uniquement la domination d’un mode de production par un autre, il porte aussi sur la redéfinition des rôles « masculin » et « féminin » dans les familles rurales. Les fabriques ont constitué les lieux où se cristallise cette redéfinition du genre de la transformation laitière. Ce processus s’étend bientôt aux autres opérations de la filière laitière, réduisant graduellement le travail des fermières à la « tenue de maison ». Plusieurs finissent ainsi par intérioriser certaines des valeurs des « ménagères rurales » qui les confinent au domaine domestique, alors que les hommes tendent dorénavant à être davantage identifiés au modèle des « breadwinners » transposé au contexte rural québécois.
PB - Université du Québec à Trois-Rivières PY - 2012 EP - 383 TI - L’argent du lait : famille, genre et marché dans la région de Québec, 1870-1930 UR - https://depot-e.uqtr.ca/id/eprint/4425 ER -