TY - THES AU - Pierre Richard AB -
En proposant une histoire sociale du curling au Québec de 1807 à 1980, cette thèse s’attache aux questions relatives à la sociabilité selon trois axes. Qui sont les acteurs sociaux de ce sport? Quelles sont les valeurs qui sous-tendent leur pratique? Comment ce sport pose-t-il les jalons de sa pérennité?
Tout au long du XIXe siècle, l’absence remarquée des femmes, des Canadiens français et de la classe ouvrière permet de poser les premiers éléments de la problématique. Pour chacun de ces groupes, nous avons par la suite établi les moments de la divulgation et de l’appropriation du sport. La participation féminine en curling s’exprime dans la dernière décennie du XIXe siècle avec la formation du Montreal Club. À cette époque, les sports d’hiver ne sont pas le lieu d’une camaraderie essentiellement masculine. Le curling obéit à cette tendance et, phénomène remarquable, la mixité émerge relativement tôt sans que des réticences particulières ne soient observées. Dans l’après-guerre, les femmes s’approprient l’activité et deviennent ensuite des partenaires de premier plan. Le retard des francophones est marqué et nous en avons étudié les raisons. Contrairement à ce que l’historiographie a pu laisser croire, ce retard ne tient pas à un refus global des valeurs sportives ou à une prise de distance associée à la culture anglo-saxonne. Jusqu’aux années 1970, le curling demeure un sport de classe réservé à une élite bourgeoise. À l’inverse d’autres activités, c’est tardivement qu’il finit par joindre la masse. La baisse de popularité du sport combinée à une offre excédentaire de places congédie pour de bon toute prétention de distinction.
Un mécanisme rigide de sélection par cooptation aura eu pour effet de tenir en marge de ce sport tous ceux qui ne participaient pas au réseau social de la bourgeoisie anglo-protestante. De cet angle, le phénomène représente une forme de discrimination directe, de favoritisme.
L’importance que les acteurs du curling ont accordée à leur activité tient au fil du temps à un ensemble diversifié de représentations. Toutefois, la sociabilité est une valeur qui surpasse toutes les autres et confère au curling sa personnalité unique. L’essence de la sociabilité n’interdit pas la présence de compétitivité ou, dirons-nous, de sportivité. En revanche, le gain de l’un se sera réalisé au détriment de l’autre. Grâce à une observation étendue dans le temps, il a été possible de reconnaître l’évolution de ce couple sociabilité/sportivité. L’expression de cette valeur touche un sommet au milieu du xxe siècle et décline par la suite avec la montée d’un curling plus « sportif » élevé au rang de discipline olympique.
Dans un sport qui n’a jamais été le plus spectaculaire, le curling aura assumé sa pérennité sur près de deux siècles ne vivant un premier déclin qu’au tournant des années 1970. Cette étonnante stabilité dans le temps ne tient pas à un facteur primordial mais à un ensemble de facteurs qui agissent en concomitance : continuité psychologique malgré l’écoulement du temps, utilisation du droit comme mode de normativité, constitution de patrimoines physiques imposants, cumul des actes d’institutionnalisation. Tout en représentant un ingrédient de cette survie, la sociabilité, stade avancé de l’action réciproque des individus, ne peut être le garant du maintien d’une forme sociale. Délesté de son contenu sportif, tout regroupement qui n’est plus que le prétexte à la rencontre court à l’extinction. Ce constat pourrait se généraliser à d’autres sphères de l’activité humaine.
En se donnant pour cadre théorique la sociologie formelle de Simmel, cette thèse reconnaît le sport comme une configuration nouvelle, un modèle inédit qui prend racine au XIXe siècle à l’échelle mondiale. Toutefois, à l’intérieur de cette unité sociale, chaque sport adopte son propre rythme et bâtit son rapport compétitif en fonction d’un contenu de socialisation donné, c’est-à-dire les motivations des individus qui s’y regroupent. Par rapport à d’autres sports, le curling se configure avec lenteur sans jamais que sa survie ne soit menacée par ailleurs.
DA - 2006 M3 - Thèse de doctorat N2 -En proposant une histoire sociale du curling au Québec de 1807 à 1980, cette thèse s’attache aux questions relatives à la sociabilité selon trois axes. Qui sont les acteurs sociaux de ce sport? Quelles sont les valeurs qui sous-tendent leur pratique? Comment ce sport pose-t-il les jalons de sa pérennité?
Tout au long du XIXe siècle, l’absence remarquée des femmes, des Canadiens français et de la classe ouvrière permet de poser les premiers éléments de la problématique. Pour chacun de ces groupes, nous avons par la suite établi les moments de la divulgation et de l’appropriation du sport. La participation féminine en curling s’exprime dans la dernière décennie du XIXe siècle avec la formation du Montreal Club. À cette époque, les sports d’hiver ne sont pas le lieu d’une camaraderie essentiellement masculine. Le curling obéit à cette tendance et, phénomène remarquable, la mixité émerge relativement tôt sans que des réticences particulières ne soient observées. Dans l’après-guerre, les femmes s’approprient l’activité et deviennent ensuite des partenaires de premier plan. Le retard des francophones est marqué et nous en avons étudié les raisons. Contrairement à ce que l’historiographie a pu laisser croire, ce retard ne tient pas à un refus global des valeurs sportives ou à une prise de distance associée à la culture anglo-saxonne. Jusqu’aux années 1970, le curling demeure un sport de classe réservé à une élite bourgeoise. À l’inverse d’autres activités, c’est tardivement qu’il finit par joindre la masse. La baisse de popularité du sport combinée à une offre excédentaire de places congédie pour de bon toute prétention de distinction.
Un mécanisme rigide de sélection par cooptation aura eu pour effet de tenir en marge de ce sport tous ceux qui ne participaient pas au réseau social de la bourgeoisie anglo-protestante. De cet angle, le phénomène représente une forme de discrimination directe, de favoritisme.
L’importance que les acteurs du curling ont accordée à leur activité tient au fil du temps à un ensemble diversifié de représentations. Toutefois, la sociabilité est une valeur qui surpasse toutes les autres et confère au curling sa personnalité unique. L’essence de la sociabilité n’interdit pas la présence de compétitivité ou, dirons-nous, de sportivité. En revanche, le gain de l’un se sera réalisé au détriment de l’autre. Grâce à une observation étendue dans le temps, il a été possible de reconnaître l’évolution de ce couple sociabilité/sportivité. L’expression de cette valeur touche un sommet au milieu du xxe siècle et décline par la suite avec la montée d’un curling plus « sportif » élevé au rang de discipline olympique.
Dans un sport qui n’a jamais été le plus spectaculaire, le curling aura assumé sa pérennité sur près de deux siècles ne vivant un premier déclin qu’au tournant des années 1970. Cette étonnante stabilité dans le temps ne tient pas à un facteur primordial mais à un ensemble de facteurs qui agissent en concomitance : continuité psychologique malgré l’écoulement du temps, utilisation du droit comme mode de normativité, constitution de patrimoines physiques imposants, cumul des actes d’institutionnalisation. Tout en représentant un ingrédient de cette survie, la sociabilité, stade avancé de l’action réciproque des individus, ne peut être le garant du maintien d’une forme sociale. Délesté de son contenu sportif, tout regroupement qui n’est plus que le prétexte à la rencontre court à l’extinction. Ce constat pourrait se généraliser à d’autres sphères de l’activité humaine.
En se donnant pour cadre théorique la sociologie formelle de Simmel, cette thèse reconnaît le sport comme une configuration nouvelle, un modèle inédit qui prend racine au XIXe siècle à l’échelle mondiale. Toutefois, à l’intérieur de cette unité sociale, chaque sport adopte son propre rythme et bâtit son rapport compétitif en fonction d’un contenu de socialisation donné, c’est-à-dire les motivations des individus qui s’y regroupent. Par rapport à d’autres sports, le curling se configure avec lenteur sans jamais que sa survie ne soit menacée par ailleurs.
PB - Université du Québec à Trois-Rivières PY - 2006 EP - 569 TI - Une histoire sociale du curling au Québec, de 1807 à 1980 UR - https://depot-e.uqtr.ca/id/eprint/1998 ER -