TY - THES AU - Martin Petitclerc AB -

Cette thèse porte sur l’histoire des sociétés québécoises de secours mutuels au 19e siècle. Ces sociétés offraient une large gamme de services à leurs membres qui provenaient en grande majorité de la classe ouvrière. En échange d’une cotisation mensuelle, les membres recevaient un secours financier lorsqu’ils ne pouvaient plus compter sur leur salaire, que ce soit pour cause de maladie, d’accident, d’invalidité ou de vieillesse. En cas de décès, les sociétés payaient les coûts de la cérémonie funéraire et de l’enterrement et, surtout, donnaient une pension ou un montant forfaitaire à la veuve (et parfois aux orphelins). Ces secours n’étaient pas seulement de nature monétaire mais visaient plus généralement à renforcer les liens de solidarité entre les membres. Cela était perceptible dans de nombreuses activités associatives, notamment les funérailles publiques et les visites aux malades. Mais c’est sans doute l’assemblée mutualiste qui témoigne le mieux de la profondeur de l’objectif de solidarité que les sociétés de secours mutuels s’étaient données. En effet, l’administration de ces sociétés reposait sur une profonde démocratie participative, suscitant continuellement l’implication des membres à la cause commune.

Si la fondation de la première société de secours mutuels remonte à 1789, le mouvement mutualiste a réellement pris son envol au tournant des années 1850 dans les milieux ouvriers. L’une des plus importantes associations mutualistes de l’histoire du Québec, l’Union Saint-Joseph de Montréal, a ainsi été fondée en 1851 par des tailleurs de pierre. Cet envol du mouvement mutualiste au milieu du 19e siècle coïncidait avec la nouvelle préoccupation de l’élite pour la prévoyance comme solution libérale à la question sociale. Cette coïncidence, toutefois, ne fait pas de la mutualité une simple institution de la prévoyance libérale, comme l’étaient par exemple la banque d’épargne et la compagnie d’assurance. En effet, le développement de la mutualité dans les milieux ouvriers témoignait moins de l’adhésion à ces valeurs libérales qu’à l’expérience concrète que la classe ouvrière avait de la pauvreté et du système d’assistance. En ce sens, la mutualité a sans doute représenté ce qui s’est le plus rapproché d’une vision authentiquement populaire de la question sociale au milieu du 19e siècle.

En nourrissant continuellement les liens de solidarité entre les membres, la mutualité a profondément enrichi la vie ouvrière à cette époque. D’ailleurs, certaines associations mutualistes ont grandement résisté à l’intrusion des élites, notamment des représentants de l’Église catholique. Ainsi, l’Union Saint-Joseph de Montréal et l’Archevêché de Montréal se sont affrontés pendant plus d’une dizaine d’années afin qu’un chapelain puisse assister aux assemblées de la société. Cette résistance à la possibilité d’un détournement paternaliste de la mutualité est cohérente avec le rôle important qu’ont joué les sociétés de secours mutuels à la formation de la classe ouvrière. En effet, ce sont principalement les liens de solidarité mutualistes qui expliquent pourquoi Médéric Lanctôt a réussi, du jour au lendemain, à fonder une Grande association regroupant plusieurs milliers d’ouvriers. En initiant une partie importante de la classe ouvrière à l’association démocratique et en institutionnalisant des rapports solidaires dans le temps, les sociétés de secours mutuels ont contribué d’une façon significative au développement du mouvement ouvrier québécois.

Ceci dit, nourrir les liens de solidarité entre ouvriers ne suffisait pas... C’est que les sociétés de secours mutuels se sont développées dans un contexte politique et juridique qui ne les favorisait pas. D’une part, en l’absence d’une loi générale d’incorporation, et donc d’un encadrement de la part de l’État, les sociétés se sont développées à l’aveugle. Or, l’administration des secours mutuels, qui pouvait impliquer des sommes considérables, demandait une certaine expérience administrative que les petites associations ouvrières locales n’avaient pas. D’autre part, et cela est étroitement lié, la régulation du mouvement mutualiste a donc été laissée aux cours de justice qui étaient très mal préparées à juger les multiples conflits qui émergeaient invariablement de la gestion quotidienne des secours mutuels. Ainsi, pendant plusieurs années, les sociétés ont eu de la difficulté à contraindre leurs membres à respecter leurs règlements. Ce contexte politique et juridique difficile explique la grande précarité de ce que les contemporains vont appeler la « mutualité pure » qui faisait notamment référence aux sociétés ouvrières locales qui, comme l’Union Saint- Joseph de Montréal, avaient été fondées à partir du milieu du 19e siècle.

Finalement, le déclin de la « mutualité pure » va coïncider avec la montée d’une nouvelle génération de sociétés de secours mutuels qui représenteront ce que les contemporains appelleront la « mutualité scientifique » ou la « mutualité d’affaires ». À la différence des premières sociétés de secours mutuels, les sociétés de la « mutualité scientifique » se réclameront de l’assurance et adopteront, de ce fait, plusieurs pratiques des compagnies d’assurance. Ce glissement vers l’assurance se fera parallèlement à la montée de la petite et moyenne bourgeoisies au sein du mouvement mutualiste. Cela n’était pas qu’une simple coïncidence. En effet, la « réforme assurantielle » de la mutualité sera imprégnée d’une dimension de classes comme le prouve la forte opposition que cette réforme rencontrera chez les membres. Alors que les administrateurs verront cette réforme comme une évolution naturelle pour une institution « arrivée à maturité », de nombreux membres ressentiront profondément la rupture radicale que représentait l’adoption des principes de l’assurance pour la mutualité. C’est que la réforme assurantielle était porteuse d’une transformation fondamentale dans la logique des rapports sociaux qui avait défini, depuis le milieu du 19e siècle, la mutualité. Devenu une simple marchandise pouvant être négociée sur le marché de l’assurance, le secours mutuel était complètement vidé de son objectif de solidarité sociale qui lui avait pourtant donné naissance.

DA - 2004 M3 - Thèse de doctorat N2 -

Cette thèse porte sur l’histoire des sociétés québécoises de secours mutuels au 19e siècle. Ces sociétés offraient une large gamme de services à leurs membres qui provenaient en grande majorité de la classe ouvrière. En échange d’une cotisation mensuelle, les membres recevaient un secours financier lorsqu’ils ne pouvaient plus compter sur leur salaire, que ce soit pour cause de maladie, d’accident, d’invalidité ou de vieillesse. En cas de décès, les sociétés payaient les coûts de la cérémonie funéraire et de l’enterrement et, surtout, donnaient une pension ou un montant forfaitaire à la veuve (et parfois aux orphelins). Ces secours n’étaient pas seulement de nature monétaire mais visaient plus généralement à renforcer les liens de solidarité entre les membres. Cela était perceptible dans de nombreuses activités associatives, notamment les funérailles publiques et les visites aux malades. Mais c’est sans doute l’assemblée mutualiste qui témoigne le mieux de la profondeur de l’objectif de solidarité que les sociétés de secours mutuels s’étaient données. En effet, l’administration de ces sociétés reposait sur une profonde démocratie participative, suscitant continuellement l’implication des membres à la cause commune.

Si la fondation de la première société de secours mutuels remonte à 1789, le mouvement mutualiste a réellement pris son envol au tournant des années 1850 dans les milieux ouvriers. L’une des plus importantes associations mutualistes de l’histoire du Québec, l’Union Saint-Joseph de Montréal, a ainsi été fondée en 1851 par des tailleurs de pierre. Cet envol du mouvement mutualiste au milieu du 19e siècle coïncidait avec la nouvelle préoccupation de l’élite pour la prévoyance comme solution libérale à la question sociale. Cette coïncidence, toutefois, ne fait pas de la mutualité une simple institution de la prévoyance libérale, comme l’étaient par exemple la banque d’épargne et la compagnie d’assurance. En effet, le développement de la mutualité dans les milieux ouvriers témoignait moins de l’adhésion à ces valeurs libérales qu’à l’expérience concrète que la classe ouvrière avait de la pauvreté et du système d’assistance. En ce sens, la mutualité a sans doute représenté ce qui s’est le plus rapproché d’une vision authentiquement populaire de la question sociale au milieu du 19e siècle.

En nourrissant continuellement les liens de solidarité entre les membres, la mutualité a profondément enrichi la vie ouvrière à cette époque. D’ailleurs, certaines associations mutualistes ont grandement résisté à l’intrusion des élites, notamment des représentants de l’Église catholique. Ainsi, l’Union Saint-Joseph de Montréal et l’Archevêché de Montréal se sont affrontés pendant plus d’une dizaine d’années afin qu’un chapelain puisse assister aux assemblées de la société. Cette résistance à la possibilité d’un détournement paternaliste de la mutualité est cohérente avec le rôle important qu’ont joué les sociétés de secours mutuels à la formation de la classe ouvrière. En effet, ce sont principalement les liens de solidarité mutualistes qui expliquent pourquoi Médéric Lanctôt a réussi, du jour au lendemain, à fonder une Grande association regroupant plusieurs milliers d’ouvriers. En initiant une partie importante de la classe ouvrière à l’association démocratique et en institutionnalisant des rapports solidaires dans le temps, les sociétés de secours mutuels ont contribué d’une façon significative au développement du mouvement ouvrier québécois.

Ceci dit, nourrir les liens de solidarité entre ouvriers ne suffisait pas... C’est que les sociétés de secours mutuels se sont développées dans un contexte politique et juridique qui ne les favorisait pas. D’une part, en l’absence d’une loi générale d’incorporation, et donc d’un encadrement de la part de l’État, les sociétés se sont développées à l’aveugle. Or, l’administration des secours mutuels, qui pouvait impliquer des sommes considérables, demandait une certaine expérience administrative que les petites associations ouvrières locales n’avaient pas. D’autre part, et cela est étroitement lié, la régulation du mouvement mutualiste a donc été laissée aux cours de justice qui étaient très mal préparées à juger les multiples conflits qui émergeaient invariablement de la gestion quotidienne des secours mutuels. Ainsi, pendant plusieurs années, les sociétés ont eu de la difficulté à contraindre leurs membres à respecter leurs règlements. Ce contexte politique et juridique difficile explique la grande précarité de ce que les contemporains vont appeler la « mutualité pure » qui faisait notamment référence aux sociétés ouvrières locales qui, comme l’Union Saint- Joseph de Montréal, avaient été fondées à partir du milieu du 19e siècle.

Finalement, le déclin de la « mutualité pure » va coïncider avec la montée d’une nouvelle génération de sociétés de secours mutuels qui représenteront ce que les contemporains appelleront la « mutualité scientifique » ou la « mutualité d’affaires ». À la différence des premières sociétés de secours mutuels, les sociétés de la « mutualité scientifique » se réclameront de l’assurance et adopteront, de ce fait, plusieurs pratiques des compagnies d’assurance. Ce glissement vers l’assurance se fera parallèlement à la montée de la petite et moyenne bourgeoisies au sein du mouvement mutualiste. Cela n’était pas qu’une simple coïncidence. En effet, la « réforme assurantielle » de la mutualité sera imprégnée d’une dimension de classes comme le prouve la forte opposition que cette réforme rencontrera chez les membres. Alors que les administrateurs verront cette réforme comme une évolution naturelle pour une institution « arrivée à maturité », de nombreux membres ressentiront profondément la rupture radicale que représentait l’adoption des principes de l’assurance pour la mutualité. C’est que la réforme assurantielle était porteuse d’une transformation fondamentale dans la logique des rapports sociaux qui avait défini, depuis le milieu du 19e siècle, la mutualité. Devenu une simple marchandise pouvant être négociée sur le marché de l’assurance, le secours mutuel était complètement vidé de son objectif de solidarité sociale qui lui avait pourtant donné naissance.

PB - Université du Québec à Montréal PY - 2004 EP - 381 TI - Une forme d’entraide populaire : histoire des sociétés québécoises de secours mutuels au 19e siècle UR - https://irec.quebec/repertoire/fiche/une-forme-dentraide-populaire-histoire-des-societes-quebecoises-de-secours-mutuels-au-19e-siecle ER -