TY - THES AU - Damien-Claude Bélanger AB -

L’émigration de centaines de milliers de Canadiens français et d’Acadiens vers les États-Unis, de 1840 à 1930, constitue un des événements majeurs de l’histoire démographique du Canada. Cet important exode, dirigé particulièrement vers les villes manufacturières de la Nouvelle-Angleterre, engendra une nouvelle branche de la « famille » française du continent américain : la Franco-Américanie. Alimenté par une migration fluctuante mais continue jusqu’à la fin des années 1920, ce Québec « d’en bas » connaîtra un inexorable déclin institutionnel et démolinguistique après cette décennie. Toutefois, pendant cent ans, une société francophone a su résister, tant bien que mal, à l’assimilation dans le creuset culturel et linguistique des États-Unis. Durant le siècle sur lequel s’étend cette émigration considérable, l’élite du Canada français a tenté, sans grand succès, d’enrayer l’exode. Dans un premier temps, des années 1840 à 1890, elle voit cette émigration d’un très mauvais œil. Les émigrants font souvent figure d’individus sans conscience nationale, dont le départ affaiblit la nation en minant sa position démographique. Ils quittent leur patrie, pour s’exposer aux dangers moraux de l’univers industriel américain qui aura vite fait de les assimiler sur les plans linguistique et religieux. Essentiellement, ce sont des âmes perdues à jamais.

Cependant, vers la fin du XIXe siècle, une partie de l’élite cléricale et laïque du Canada français formule un nouveau discours sur l’émigration. Ce phénomène est encore très mal perçu, mais face à son ampleur et au dynamisme démolinguistique et institutionnel de certaines communautés franco-américaines, une vision moins négative de l’émigrant et de la Franco-Américanie se dessine. Ainsi, certains nationalistes canadiens-français, tels Edmond de Nevers et Jules-Paul Tardivel, ou Édouard Hamon, un jésuite français, récupèrent l’émigration et l’émigrant en leur donnant une place centrale dans la mission providentielle et civilisatrice du Canada français. Les Franco-Américains deviennent alors le fer de lance d’une vaste reconquête franco-catholique du continent américain. Ce nationalisme, quelque peu revanchard et teinté d’expansionnisme pacifique, connaît une certaine vogue vers la fin du siècle dernier, stimulé par l’impressionnant taux de croissance démographique du Canada français et par certains apôtres de la colonisation, tel le curé Labelle, qui rêve d’une vaste reconquête française et catholique du Canada et, éventuellement, de l’Amérique.

Au début du XXe siècle, ces rêves chimériques s’estompent. Toutefois, l’élite nationaliste du Canada français conserve toujours une vision assez positive de l’émigrant et de ses perspectives de survivance ethnoreligieuse. L’émigration reste un désastre national que l’on doit endiguer à tout prix mais les Franco-Américains peuvent résister à l’assimilation s’ils sont bien encadrés par le clergé du Canada français et s’ils se dotent d’institutions aptes à promouvoir la survivance.

C’est à cette vision qu’adhérera le chanoine Lionel Groulx, à différents degrés d’intensité, pendant toute sa vie intellectuelle active. Celui-ci a consacré plusieurs écrits et conférences à l’émigration et à la survivance franco-américaine. De plus, il a entretenu une volumineuse correspondance avec plusieurs membres de l’élite franco-américaine, du début du siècle jusqu’aux années 1960. Le chanoine s’intéresse fortement aux Franco-Américains et aux autres minorités françaises du continent. Toutefois, cet aspect de sa pensée a été négligé par l’historiographie concernant son œuvre. Voilà pourquoi nous avons axé la présente étude sur la part de sa pensée qu’il consacre à la Franco-Américanie et à l’émigration canadienne-française aux États-Unis. Notre étude utilisera le thème de la Franco-Américanie comme outil d’analyse afin de porter un nouveau regard sur certains aspects de la pensée groulxiste. Ainsi, en étudiant l’émigration nous nous pencherons également sur sa conception de l’expansion de l’écoumène du Canada français, sur son messianisme et sur son ruralisme. En discutant de l’intégration des Franco-Américains dans la construction nationale et identitaire du chanoine et de sa vision de la survivance franco-américaine, nous aborderons sa conception de la nation et du caractère volontariste de la survivance. Enfin, en traitant de sa perception de la crise sentinelliste, nous pourrons mieux cerner les relations qu’entretiennent la foi et la langue dans l’œuvre du chanoine Groulx. L’étude de sa perception de la Franco-Américanie et du phénomène de l’émigration nous donne donc une excellente occasion de saisir sous un jour nouveau d’importants éléments, jusqu’ici négligés, de la pensée nationaliste de Groulx.

DA - 2000 M3 - Mémoire de maîtrise N2 -

L’émigration de centaines de milliers de Canadiens français et d’Acadiens vers les États-Unis, de 1840 à 1930, constitue un des événements majeurs de l’histoire démographique du Canada. Cet important exode, dirigé particulièrement vers les villes manufacturières de la Nouvelle-Angleterre, engendra une nouvelle branche de la « famille » française du continent américain : la Franco-Américanie. Alimenté par une migration fluctuante mais continue jusqu’à la fin des années 1920, ce Québec « d’en bas » connaîtra un inexorable déclin institutionnel et démolinguistique après cette décennie. Toutefois, pendant cent ans, une société francophone a su résister, tant bien que mal, à l’assimilation dans le creuset culturel et linguistique des États-Unis. Durant le siècle sur lequel s’étend cette émigration considérable, l’élite du Canada français a tenté, sans grand succès, d’enrayer l’exode. Dans un premier temps, des années 1840 à 1890, elle voit cette émigration d’un très mauvais œil. Les émigrants font souvent figure d’individus sans conscience nationale, dont le départ affaiblit la nation en minant sa position démographique. Ils quittent leur patrie, pour s’exposer aux dangers moraux de l’univers industriel américain qui aura vite fait de les assimiler sur les plans linguistique et religieux. Essentiellement, ce sont des âmes perdues à jamais.

Cependant, vers la fin du XIXe siècle, une partie de l’élite cléricale et laïque du Canada français formule un nouveau discours sur l’émigration. Ce phénomène est encore très mal perçu, mais face à son ampleur et au dynamisme démolinguistique et institutionnel de certaines communautés franco-américaines, une vision moins négative de l’émigrant et de la Franco-Américanie se dessine. Ainsi, certains nationalistes canadiens-français, tels Edmond de Nevers et Jules-Paul Tardivel, ou Édouard Hamon, un jésuite français, récupèrent l’émigration et l’émigrant en leur donnant une place centrale dans la mission providentielle et civilisatrice du Canada français. Les Franco-Américains deviennent alors le fer de lance d’une vaste reconquête franco-catholique du continent américain. Ce nationalisme, quelque peu revanchard et teinté d’expansionnisme pacifique, connaît une certaine vogue vers la fin du siècle dernier, stimulé par l’impressionnant taux de croissance démographique du Canada français et par certains apôtres de la colonisation, tel le curé Labelle, qui rêve d’une vaste reconquête française et catholique du Canada et, éventuellement, de l’Amérique.

Au début du XXe siècle, ces rêves chimériques s’estompent. Toutefois, l’élite nationaliste du Canada français conserve toujours une vision assez positive de l’émigrant et de ses perspectives de survivance ethnoreligieuse. L’émigration reste un désastre national que l’on doit endiguer à tout prix mais les Franco-Américains peuvent résister à l’assimilation s’ils sont bien encadrés par le clergé du Canada français et s’ils se dotent d’institutions aptes à promouvoir la survivance.

C’est à cette vision qu’adhérera le chanoine Lionel Groulx, à différents degrés d’intensité, pendant toute sa vie intellectuelle active. Celui-ci a consacré plusieurs écrits et conférences à l’émigration et à la survivance franco-américaine. De plus, il a entretenu une volumineuse correspondance avec plusieurs membres de l’élite franco-américaine, du début du siècle jusqu’aux années 1960. Le chanoine s’intéresse fortement aux Franco-Américains et aux autres minorités françaises du continent. Toutefois, cet aspect de sa pensée a été négligé par l’historiographie concernant son œuvre. Voilà pourquoi nous avons axé la présente étude sur la part de sa pensée qu’il consacre à la Franco-Américanie et à l’émigration canadienne-française aux États-Unis. Notre étude utilisera le thème de la Franco-Américanie comme outil d’analyse afin de porter un nouveau regard sur certains aspects de la pensée groulxiste. Ainsi, en étudiant l’émigration nous nous pencherons également sur sa conception de l’expansion de l’écoumène du Canada français, sur son messianisme et sur son ruralisme. En discutant de l’intégration des Franco-Américains dans la construction nationale et identitaire du chanoine et de sa vision de la survivance franco-américaine, nous aborderons sa conception de la nation et du caractère volontariste de la survivance. Enfin, en traitant de sa perception de la crise sentinelliste, nous pourrons mieux cerner les relations qu’entretiennent la foi et la langue dans l’œuvre du chanoine Groulx. L’étude de sa perception de la Franco-Américanie et du phénomène de l’émigration nous donne donc une excellente occasion de saisir sous un jour nouveau d’importants éléments, jusqu’ici négligés, de la pensée nationaliste de Groulx.

PB - Université de Montréal PY - 2000 EP - 184 TI - Lionel Groulx et la Franco-Américanie UR - http://faculty.marianopolis.edu/c.belanger/quebechistory/Damien-ClaudeBelanger.html ER -