@phdthesis{1181, author = {Stéphanie Boutevin}, title = {La place et les usages de l’écriture chez les Hurons et les Abénakis, 1780-1880}, abstract = {
Alors que les sociétés européennes entrent dans une phase industrielle de leur histoire, au XIXe siècle, elles entraînent avec elles, dans leur course aux changements, les populations colonisées ou annexées dans les territoires du Nouveau Monde. C’est donc sur fond de développement des industries que la couronne britannique envisage les importants bouleversements qui marquent la politique autochtone des années 1830, visant la réduction des coûts des réserves ainsi que leur intégration, à moyen terme, dans le reste de la société. Confrontées à cette transformation de leur place politique et économique, certaines communautés parmi les plus influencées par les Européens, plus précisément les Abénakis de Saint-François et les Hurons de Lorette, voient leur rapport au monde du travail et au pouvoir diplomatique se modifier. Le monde de l’écrit qui, quoiqu’il ait pu être jusqu’ici utilisé plus ou moins directement, devient, à compter du tournant des années 1830, un univers à apprivoiser et à se réapproprier pour préserver une certaine influence sur la scène politique à l’interne comme dans les relations extérieures. Ainsi, émergent des individus aux visions différentes et aux volontés plus ou moins révolutionnaires, qui cherchent à entraîner leur communauté avec eux dans des changements qu’ils auront eux-mêmes choisis et qu’ils seront à même de diriger grâce à leur savoir écrit, instrument de pouvoir sans égal au sein d’une population majoritairement européenne.
La présente étude s’appuie donc, en grande partie, sur un important corpus de sources tirées de la correspondance ou des journaux de ces individus. Il est d’ailleurs particulièrement intéressant de remarquer quels chemins ces personnages ont choisi d’emprunter pour guider leur peuple au travers des changements inéluctables qui s’opéraient autour d’eux. Grâce à leurs traces, il est possible de remarquer deux grandes tendances qui différencient l’histoire de chacun des deux villages examinés dans cette thèse. Si celui des Abénakis bénéficie, dans une certaine mesure, d’une concurrence religieuse qui permet l’émergence d’une plus large classe d’alphabétisés dans la seconde moitié du XIXe siècle, il devient très vite évident que les premiers lettrés de Lorette ont plutôt choisi une vision plus conservatrice de l’utilisation de ce nouveau savoir écrit. Créant une véritable élite dynastique, les Hurons engendrent donc une société à deux vitesses où les éduqués s’embourgeoisent tandis que les masses demeurent ignorantes. Ce phénomène qui s’observait également chez les Abénakis avant l’arrivée du protestantisme à Saint-François ne s’avère plus dans la seconde moitié du siècle.
Dans le dernier tiers du XIXe, la situation à Lorette et dans le village abénakis est éloquente de ce phénomène puisque l’écriture n’est plus utilisée, dans son apprentissage fondamental, comme un outil de pouvoir mais bien comme un instrument maîtrisé et peaufiné pour l’élite huronne et comme un outil pratique pour les Abénakis. Les élites des deux communautés n’occupent d’ailleurs pas le même rang social à la fin de notre période, démontrant comment chacune ont suivi des chemins très différents dans leur façon d’aborder la question de l’alphabétisation des masses. Ces dernières, dont l’opinion sur la question est difficilement perceptible à travers les traces laissées par leurs guides, semblent avoir mieux apprivoisé l’écriture à Saint-François car elles s’en servent comme d’un outil pour contrôler leurs dirigeants à la fin de la période. Elles s’appuient sur des écrits et usent de l’écrit notarié pour protester lorsqu’elles estiment que leurs chefs ne font plus leur devoir. Bien entendu, ces actions ne sont jamais indépendantes des intérêts personnels de chacun et des conflits de pouvoir.
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