Licenciements odieux chez les Sulpiciens

24 août 2020

La Fondation Lionel-Groulx joint sa voix à l’Institut d’histoire de l’Amérique française et de nombreuses organisations vouées à la défense de l’histoire et du patrimoine, pour dénoncer le licenciement odieux des archivistes de la Compagnie des prêtres de Saint-Sulpice à Montréal. Cette décision est irresponsable car elle met en péril les biens patrimoniaux et les archives des Sulpiciens, dont la valeur est inestimable pour notre mémoire collective.

À cet effet, nous invitons le grand public à signer la pétition mise en ligne sur le site Histoire engagée.


Madame Nathalie Roy
Ministre de la Culture et des Communications

Madame la Ministre,

Comme vous le savez déjà, dans un article du Devoir paru le 19 août 2020, Jean-François Nadeau annonçait le licenciement du personnel attaché à la préservation et à la mise en valeur du patrimoine de la Compagnie des prêtres de Saint-Sulpice à Montréal. Nous déplorons ces odieuses mises à pied. En outre, nous nous demandons comment conserver et rendre accessibles des archives et des biens mobiliers et immobiliers sans personnel qualifié pour en prendre soin ? Que veulent en faire les Sulpiciens et leurs gestionnaires ? Face à ces questions préoccupantes qui concernent une part importante du patrimoine national, la communauté historienne, archiviste, muséale et littéraire a voulu réagir collectivement pour signifier l’importance qu’elle lui accorde.

Cette démarche et ces mises à pied brutales signifient la fin des projets de l’Univers culturel de Saint-Sulpice, une corporation fondée en 2006 pour « faire connaître et apprécier le rôle des Prêtres de Saint-Sulpice, tant au sein des seigneuries de l’Île de Montréal, du Lac-des-Deux-Montagnes et de Saint-Sulpice, que dans l’histoire religieuse, politique, économique, sociale et culturelle du pays depuis la fondation de Montréal (1642) jusqu’à maintenant ». Ces mots tirés du site internet de l’organisme résonnent amèrement aujourd’hui.

Les archives conservées par les Sulpiciens couvrent cinq siècles d’histoire. Anciens seigneurs de Montréal, ils ont participé à l’entreprise de colonisation française dès 1657. En plus de posséder et de concéder des terres, ils ont tracé le premier plan de la ville. Par ailleurs, ils ont contribué activement au développement éducatif et culturel de Montréal et du Québec, notamment à travers leurs responsabilités paroissiales et la formation des prêtres, tout en soutenant les communautés religieuses impliquées dans les domaines de la santé et des services sociaux. Les archives de la Compagnie sont également une porte d’accès à l’histoire autochtone puisqu’ils ont eu la charge de nombreuses missions au fil des siècles, arpenté le territoire de la Nouvelle-France et rédigé différents dictionnaires en langues autochtones, précieusement conservés dans les archives depuis le début de la colonie. L’histoire des Sulpiciens témoigne d’une contribution à la société québécoise qui dépasse de loin la seule sphère spirituelle.

L’importance à la fois quantitative et qualitative de ces champs d’intervention explique le grand nombre de chercheurs et de chercheuses qui ont fréquenté et fréquentent encore leurs archives, leur bibliothèque et leurs collections. Elle justifie aussi leur rapide réaction devant l’annonce du licenciement du personnel concerné. Pour les chercheurs et chercheuses, et surtout pour l’ensemble des citoyens et citoyennes, comment pourrait-on se priver d’un « kilomètre de documents textuels, de 75 000 pièces iconographiques, de plus de 8 000 cartes géographiques et devis techniques, ainsi que d’enregistrements sonores et filmiques » ? Pour tous les signataires de cette lettre, il ne fait aucun doute que les archives de la Compagnie des prêtres de Saint-Sulpice forment un patrimoine d’importance nationale pour le Québec.

La partie immobilière (Le Vieux séminaire de Saint-Sulpice et le site patrimonial du Vieux-Séminaire-de-Saint-Sulpice) est d’ailleurs classée depuis 1985. Selon le Répertoire du patrimoine culturel du Québec, ces biens immobiliers « présentent un intérêt pour [leur] valeur historique reposant sur [leur ancienneté] » et « au rôle joué par les Messieurs de Saint-Sulpice dans la société montréalaise ».

L’ensemble de ce patrimoine, tant immobilier, mobilier qu’archivistique, dont les Sulpiciens sont les fiduciaires, possède une rare valeur non seulement sur le plan matériel, mais aussi et surtout sur les plans culturel et mémoriel pour notre société. Il témoigne de la permanence de notre histoire et de la pertinence de notre passé commun.

Bien qu’inédite par sa portée, la situation actuelle n’est pas nouvelle ni exclusive. Déjà en 2005, l’Institut d’histoire de l’Amérique française avait exprimé ses préoccupations devant la Commission de la culture lors de la Consultation générale sur le patrimoine religieux du Québec. À la vitesse où les communautés religieuses québécoises ferment leurs maisons, un plan national d’intervention s’impose. Il devrait reconnaître la valeur patrimoniale des archives religieuses, inclure l’ensemble des acteurs concernés – dont Bibliothèque et Archives nationales du Québec – et prévoir un financement pérenne et suffisant pour assurer leur conservation et mise en valeur.

Dans le cas des Sulpiciens, devant les risques concrets de dispersion de la collection, voire de sa destruction, nous vous demandons, madame la Ministre, de procéder rapidement au classement que vous avez annoncé des archives de la Compagnie des prêtres de Saint-Sulpice. Les livres anciens et les œuvres d’art devraient également être partie intégrante de cette démarche. Il importe de faire preuve de diligence et de tout mettre en œuvre pour garantir la protection de ce fonds d’une valeur collective inestimable.

  • Brigitte Caulier, Université Laval, présidente de l’Institut d’histoire de l’Amérique française
  • Karine Hébert, UQAR, vice-présidente de l’Institut d’histoire de l’Amérique française
  • Martin Pâquet, Université Laval, ancien président de l’Institut d’histore de l’Amérique française
  • Sophie Imbeault, historienne et éditrice

Signatures institutionnelles

  1. Institut d’histoire de l’Amérique française (IHAF)
  2. Société des Dix
  3. Société canadienne d’histoire de l’Église catholique (SCHEC)
  4. Société historique du Canada / Canadian Historical Association
  5. Centre de recherche interuniversitaire sur la littérature et la culture québécoises (CRILCQ)
  6. Association des archivistes du Québec (AAQ)
  7. Fédération Histoire Québec
  8. Société historique de Montréal
  9. Centre interuniversitaire d’études québécoises (CIEQ)
  10. Centre de recherche Cultures-Arts-Société (CÉLAT)
  11. Chaire pour le développement de la recherche sur la culture d’expression française en Amérique du Nord (CEFAN)
  12. Centre d’histoire des régulations sociales
  13. Centre interuniversitaire de recherche sur la première modernité (CIREM 16-18)
  14. Groupe de recherche en histoire des sociabilités
  15. Association québécoise pour l’étude de l’imprimé
  16. Société historique de Québec
  17. Société historique de Charlesbourg
  18. Société d’histoire du Plateau-Mont-Royal
  19. Laboratoire d’histoire et de patrimoine de Montréal
  20. Les Rendez-vous d’histoire de Québec
  21. HistoireEngagée
  22. Groupe d’histoire de Montréal
  23. French Colonial Historical Society / Société d’histoire coloniale française
  24. Société d’histoire de Sillery
  25. Fondation Lionel-Groulx
  26. Commission franco-québécoise sur les lieux de mémoire communs
  27. Association québécoise d’histoire politique
  28. Programme de recherche en démographie historique
  29. Atelier d’histoire Mercier-Hochelaga-Maisonneuve
  30. Fiducie du patrimoine culturel des Augustines
  31. Société d’histoire Haute-Gaspésie
  32. Revue d’histoire de l’Amérique française

Voir la liste complète des signataires sur le site HistoireEngagée.ca.

Vignette : Séminaire, entrée ouest du jardin, Montréal
Source : Musée McCord, M978.71.41, via Wikimedia Commons, domaine public.